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Journal - Page 12

  • "Etapes", Daniel Martinez

                                                                                            "Throw away the lights, the definitions
                                                                                              And say of what you see in the dark"
                                                                                                                                Wallace Stevens

     

    Le vent dans les roseaux
    et la pluie qui te parle
    c'était hier, investi de songes.
    Chaque feuille bruissant,
    nous étions l'un et l'autre
    peuplés d'échos sensibles
    par delà le long chemin
    qui s'effondre à mesure
    que la silhouette des marronniers
    boit dans son miroir l'espace.

    La carte de l'être
    si complexe dès l'abord
    restitue ce que l'on voudrait démêler
    d'entre les nombres et les lieux
    à la porte des années ;
    ce que l'on voudrait sauver
    de ce lieu sans frontière
    l'innocence utile
    face aux plis du chaos
    dans la main de l'insensé


    Sous les masques du vent
    les couleurs ravies au destin
    au bleu des mots
    qui les expriment
    fruits d'améthyste
    et de cendres nourricières
    sont un peu de ce trouble ressenti
    à chaque arrêt du souffle


    Des résines de feu courent
    à même les veines du levant
    dans l'incertain combat
    qu'il te faut livrer
    elles irisent le pourtour d'un lavoir
    tout cerclé de mercure
    de nitrates ferreux
    perdu là au coin d'une rue
    au cœur des pierres de l'histoire


    page à page se donne
    d'un blanc d'ambre second
    ton regard inversé.


    Daniel Martinez

     

     

  • "La traversée du corps", Daniel Martinez

    Est-ce pour ce temps qu'est donné
    tout le temps renouvelé
    aussi peu désireux que nous
    d'en connaître le terme
    l'épuisement du monde
    derrière le pays de l'été
    ses syllabes muettes tout imprégnées
    d'une origine à peine marquée
    inscrite à l'horizon

    Est-ce les pleurs de l'arbre après qu'il a plu
    qui se feraient l'écho de nuages
    égarés
    dans l'intervalle d'un espace intérieur
    poreux mouvant cotonneux
    frôlant sans s'arrêter
    la plénitude du vivant
    les souches d'orme rongées de mousse
    ou les motifs des ailes du Grand Mars

    Est-ce frappée d'un rideau d'or
    l'allée soudainement redécouverte
    née au cœur de la rousse 
    lumière d'octobre
    parmi les touffes d'herbe qu'elle égaie
    qui persiste dans l'esquisse
    d'une splendeur refoulée
    à même la langue
    du quotidien
    avec ses faiblesses admises

    ses reflux impénitents qui nous parlent
    de l'enfance galvaudée
    du glissement de la péniche dans la fenêtre
    au moment d'éprouver
    entre l'air et l'eau
    le temps d'un frôlement
    ce que l'histoire défait à mesure
    jetant à terre les images
    dont nous ne serions en somme
    que les témoins fictifs ?


    Daniel Martinez
    le 9 janvier 2024

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  • Journal espace (propos épars)

    CARNET.jpg

    C'est sur ce petit carnet que j'ai tenu mon journal, alors que je voyageais en Inde, pas comme un touriste ordinaire j'entends, désireux plutôt d'approcher Le Grand Théâtre du Monde (Calderón), en acteur plutôt qu'en spectateur. Je m'en suis confié dans Diérèse et n'y reviendrai pas. Pourtant ce n'est pas l'envie qui m'en manque (disons un autre jour). Tiens, une image, au passage : juste avant de regagner l'Hexagone, je m'étais risqué aux portes du désert du Thar, dans l'Etat du Rajasthan (le fameux Mârusthali), y avais logé dans une sorte de hutte aménagée où j'avais dû déloger une blatte de la taille d'un gros lézard, écrasée avec un masque balinais qui fut l'un des rares souvenirs ramenés d'Inde. Il y avait là, bétonné par l'habitant, une sorte de piscine à ciel ouvert qui s'offrait à ma vue. Il faisait si chaud que je n'ai pu résister longtemps et donc, après m'être mis en tenue, j'ai plongé : jamais eau ne me parut plus chaude, en piscine s'entend...

    Vous n'êtes pas sans savoir que Diérèse a publié des inédits de Guillevic (son prénom toujours exclu de ses nombreuses publications) dans son numéro 37, en l'été 2007, trois poèmes surgis à leur surgissement - et qui n'avaient pas été retenus dans Relier - poèmes 1933-1996, livre édité par Gallimard ladite année : septième du nouveau millénaire dont on souhaite qu'il ne soit le dernier dans l'histoire de l'humanité (l'espoir faisant vivre).
    Temps passé, toujours présent à l'esprit ce qu'écrivait Guillevic dans son Art poétique (Gallimard, 1989) : des vers d'une simplicité désarmante et pourtant si justes dans leur visée (proprement poétique) :

              "Il y a de l'utopie
              Dans le brin d'herbe

              Et sans cela
              Il ne pousserait pas

              Il y a de l'utopie
              Dans l'azur

              Et même
              Dans un ciel gris.

              Toi, sans utopie
              Tu n'écrirais pas

              Puisqu'en écrivant,
              Ce que tu cherches

              C'est mieux connaître
              Où te mène ton utopie."

    Dans une autre optique - où la poésie apparaîtra comme un "imaginaire trophée" - me revient l'une des Divagations de Mallarmé qui a pour titre "Le nénuphar blanc", et qui nous interroge sur le faire œuvre de la poésie, en termes de privation cette fois. Mallarmé, à la faveur d'une narration (car c'en est une, fable prise dans un récit d'événement), nous dit ceci :
         se privant de jouir d'une apparition possiblement "réelle", désirée, celle d'une femme au bord vert du fleuve, le narrateur la fait ne pas apparaître, ou quasi apparaître-disparaître, pour la plus grande chance de changer une prose relatante en prosème, entendez en une parabole de ce que peut faire "la poésie". Le descriptif d'une mésaventure et manœuvre de rameur se laisse transcrire en l'une des définitions de l'opération poésie, en art poétique - une vision ici allégorique. Mallarmé conclut ainsi ce conte :
         "Si, attirée par un sentiment d'insolite, elle a paru, la Méditative ou la Hautaine, la Farouche, la Gaie, tant pis pour cette indicible mine que j'ignore à jamais ! car j'accomplis selon les règles la manœuvre : me dégageai, virai et je contournais déjà une ondulation du ruisseau, emportant comme un noble œuf de cygne, tel que n'en jaillira le vol, mon imaginaire trophée, qui ne se gonfle d'autre chose sinon de la vacance exquise de soi qu'aime, l'été, à poursuivre dans les allées de son parc, toute dame, arrêtée parfois et longtemps, comme au bord d'une source à franchir ou de quelque pièce d'eau.
    "

    Je terminerai ces quelques réflexions en vous souhaitant à toutes et à tous d'heureuses fêtes de fin d'année.
    Amitiés partagées, Daniel Martinez