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"La Tristesse du roi", un poème de Daniel Martinez, d'après une toile de Matisse

à Richard R.-W.

 

Si bien qu'en vêture noire
ce qui persiste au centre de la toile solennise
forme un chœur autour de la plaie
et le peintre    dont le visage a disparu
dans les eaux basses de la nuit
collecte les sonorités qui lui parviennent
près desquelles il est     Lui
depuis le puits de son oreille 
celui qui continue d'animer la scène
ses mains percluses d'arthrose voudraient
bien saisir la guitare qui lui jure
éternelle allégeance
il n'y a plus dans l'atelier
ni huile de lin ni siccatif
mais pressentiments d'immortalité

Seules les gouaches découpées
réinventent à leur manière le flux fœtal
la forme des formes au moment même
où elle s'éprennent de réalité
sans qu'ici représenté l'artiste
puisse vraiment voir cette part d'invisible
qui entoure la création
encapuchonné qu'il est      une voûte
                                            où sèche le bois à feu
que d'autres mers et d'autres cieux
graveront en leurs lieux
frôlant le ventre de la danseuse qui s'éploie

Belle dont la poitrine semble celle 
soulignant doucement courbes et contre-courbes
dans l'ordre débridé des surfaces
la transparence de sa carnation
dévore l'espace clair
Elle s'élève face à lui l'univers aux aléas contenus
lui fait signe l'enveloppe uniment
feuilles et plantes poussent de ses mains
virevoltant de-ci de-là
à l'échelle où notre regard
ne se sent dominé de nulle part
                  reine en son genre
qui fait de l'atelier une serre
lianes estampillées de mille attentes
semblables à celles lancées
pour retrouver les pas d'un père
sur les lieux mêmes qu'il aurait parcourus


Vous êtes pris vous en êtes
de ces auditeurs qui sentent
aux sons du tambourin
les rythmes premiers du monde
ceux du Musicien suprême
tout ce désordre apparent
rassemblé du dehors au dedans
glissant de leur atmosphère propre
à celui du tableau en sa présence bleutée
en son apesanteur sans jamais
l'épuisement de sa transposition
ses mains à lui au musicien
illuminent ce qui reste de noirceur
embellissent les indices 
d'une prise de possession du monde
par la musique des sphères
toute une gamme de gestes simples
condensent les veloutés sonores


Des forces croissent indivises
une volonté inconnue change d'expression
librement hardiment
éclate la Délivrance


Daniel Martinez

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