Diérèse et Les Deux-Siciles
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Son premier recueil donc avait pour titre Le Grand Passage (éditions du Dragon, 1954). Jean Laude concevait la poésie comme un acte qui doit "mener à ce qui est" (in Le Mur bleu, 1965). Nourri de l'œuvre des présocratiques Empédocle et Héraclite, lecteur assidu de Novalis et Hölderlin, il a voulu élaborer une écriture qui identifie l'Etre et la parole. Fuyant tout pittoresque, réduisant l'univers sensible aux éléments essentiels (l'arbre, l'oiseau, le sable, la mer...), ses textes, constitués le plus souvent de versets irréguliers et fragmentés, expriment une quête de l'évidence première : harmoniser la parole et les éléments, ce serait assurer à l'homme l'éternité de la matière.
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"Traversières", un poème de Daniel Martinez
Vignes de sang
dans la chambre pulmonaire
où se fragmente l'île
enserrée par les deux bras
entre lesquels se divise
la rivière qui grandit
à mesure qu'on l'approche
portée par le picotis des minutes
par l'inlassable rythme
l'incessant renouvellement
interrogeant le rouge et l'or
de signes que tu ne reconnais pas
comme ces roses de la nuit
leur trace ailée entre tes doigts
ne saurait mourir
Sous les senteurs voisines
la plainte d'une fontaine dévide
les membranes du souvenir
tu t'en approches
les lèvres sèches pour y boire
un pan de ciel aux mille bouches
pour y capter la trace d'un songe
dans le vertige de l'eau
l'enfoncement d'un cri
entre deux souffles
en quête de paysages enfouis
d'une illusion de trésor engloutiC'est là même que le futur
redessine sur la paroi
jour après jour
étage par étage
chacun effaçant l'autre
épelle ce qui demeure à écrire
un peu de nous y pénètre
surimpressionne une réalité
inscrite dans l'insatiable
où l'on reste campé
face aux feuilles rouges ébouriffées
comme les ceps à l'aube
respirent les cendres
de tes cheveux défaits
Daniel Martinez -
"Pourquoi opposer la poésie à la littérature ?" par Annie Le Brun (1942-2024)
Inclassable, elle n'est, selon Mathias Sieffert, ni « essayiste », ni « écrivaine », ni « philosophe », ni « critique littéraire », ni « pamphlétaire », mais avant tout « poète », même si aucun terme précis ne délimite son œuvre, que Sieffert définit comme une « aventure soustractive », résumée en ces termes : « il s'agit toujours de débarrasser l'esprit de tous les échafaudages théoriques, de tous les édifices moraux, de tous les systèmes construits par la philosophie, de toutes les solutions préconçues par quelque ordre social que ce soit, en somme de se soustraire à tout, pour qu'une fois confronté, nu, à la plus terrifiante noirceur du désir ou à celle du néant, jaillissent enfin, et de manière fugace, de nouvelles raisons de vivre : l'amour, la poésie, tout de ce qui émane de la plus “sauvage innocence” et qui, au plus près du corps, invite à une perpétuelle “insurrection lyrique ».
In Diérèse opus 93 - dans l'hommage rendu à Daniel Abel (via l'une de ses missives) - je fais allusion à Annie Le Brun qui écrivait : "Le féminisme, c'est fini", un peu pour défier les idées reçues et ainsi redistribuer les cartes.
A son habitude, au fil de cet entretien, elle se garde de pratiquer la langue de bois, bien plutôt elle agite les braises sans jamais les étouffer. Voyez :L'occasion de remercier ici Xavier Makowski pour la maquette de la couverture du numéro d'été dont il est le concepteur.