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Journal

  • "Entre hier et demain", un poème de Daniel Martinez

    Dehors sans point d'ancrage
    quêtant la montée des signes
    tendu plus âpre qu'avant
    langue nouée nueuse
    et ma toute buée
    tu es là qui me parles m'envahis
    sous la grenaille crépusculaire
    jusqu'à perdre les mots
    qui attestent la réalité du monde
    ses formes et mouvements
    dans la tête de celui en qui se tient
    et attend l'univers entier
    mâtiné d'un ailleurs
    où la fugue où le souffle s'allient
    pour le meilleur dirait-on

    Dehors délivré
    des viscères du froid
    comme offrande consentie
    aux ailes ouvertes de l'effraie
    sur la toile griffée
    et la marque de l'air
    soudainement sensible
    gardienne des visages anciens
    livrés à la matière des brumes
    de l'automne qui sonne
    d'où s'effluvent les senteurs 
    et charbonne la parole
    au paon de l'horizon

    Dehors avec la sensation
    de s'éprouver un instant
    seul au monde emporté
    au cœur de l'épaisseur
    dont l'écho meurt en toi
    la bise tourne entre les doigts écorcés
    abandonne ses poignées de feuilles
    les arbres craquent éventent
    les rumeurs alentour
    entre fétiches d'ébène
    et verroteries de nuées tardives
    vers le plus inconnu

    Daniel Martinez

  • Un art majeur : quelques réflexions sur "Autres séjours", de Jean-Claude Pirotte

    "J'ai besoin de l'interdit" écrivait Jean-Claude Pirotte dans un recueil qu'il m'a dédicacé : "Autres séjours", lui qui me disait avoir mangé du hérisson avec les Manouches du temps où la faim le tenaillait. La vie est ainsi faite, de bas et de hauts, acceptables, inacceptables selon. Il n'a jamais flanché cependant : "viennent les choses en venant" fut son leitmotiv, je n'oublierai pas qu'il a confié à Diérèse certains de ses écrits non publiés en livre.
         Après coup et trop tard, me reprochant à moi-même d'avoir permis que paraisse dans la revue une critique des plus moyennes à la sortie de cet opus imprimé à Millau, paru en octobre 2010 au Temps qu'il fait. La critique est certes plutôt corruptrice, mais...
         Une époque charnière que ces années-là où je commençais seulement à me défendre des ombres de ce monde, à reconnaître la "santé transcendantale" dont parlait Novalis, confrontée aujourd'hui aux langues cybernétiques des ordinateurs.

    JC PIROTTE.jpg

    Plus loin dans ma lecture, en page 167 : 
         "j'ai rêvé d'une autre demeure
           moi qui vis entre mes vies
           si souvent sans domicile..."
    cette fuite en avant, consentie, acceptée comme telle et qui relève de l'intuition, celle que l'existence nôtre vaut en elle-même plus que nos mésaventures, diverses et variées.
    Une lettre d'Henri Bergson (un auteur que je cite dans mon prochain édito de Diérèse 94, à propos de son dernier livre, La pensée et le mouvant). Dans l'une des trois lettres que Bergson adressa à Ernest Seillière, philosophe et historien de la littérature, lettres restées inédites ce me semble à ce jour, Henri B. note :
    "Je suis d'ailleurs prêt à admettre ce que vous dites de la surveillance nécessaire de l'intuition par l'intelligence." Est-ce que Jean-Claude Pirotte était lui prêt à l'admettre, je ne le crois pas. L'intelligence calcule, l'intuition pose, entaille, soulève l'écorce de la raison qui trop collée au tronc de nos certitudes se déchire. "L'écriture, une manière de refuser" ai-je lu quelque part. Eu égard à un monde littéraire plus cloisonné qu'il n'y paraît, où dame poésie essaie tant bien que mal de recouvrer son lustre perdu, elle qui fut longtemps considérée comme un art majeur. Mais rien n'y fait. Les poètes demeurent les mal-aimés de la littérature.
         Au juste, quel est le temps du poète ?, question vaine, à mon sens. Car il s'inscrit dans ce qu'il éveille, et vice-versa. J* me fait remarquer ces vers de (sans)"Détours", poème écrit il y a peu, pour le blog : 
         « car toute pensée malgré elle

         fait entrer en pauvreté »
    Oui, dérivée de son essence même. C'est un joyau clair, sans valeur marchande, aux feux changeants. Et, comme telle, la pensée qui fait entrer par la petite porte dans la polyphonie du monde laisse l'écrivant toujours en deçà de sa quête. Ce qui nous travaille de l'intérieur nous dépasse infiniment.


    Daniel Martinez

  • "Détours", un poème de Daniel Martinez

    A l'instant que le soleil visite
    le chant liquide de la flamme
    sur les roses trémières fleurs de chair
    où la vie attend de paraître
    à nu de mots prise dans les creux
    de la métamorphose
    où s'écrit en silence
    la teneur de chaque tremblement


    Perds ton habit d'homme
    ce visage qui s'éloigne
    n'est plus le tien
    ni celui d'août enfiévrant les pierres
    à seule fin de mieux voir paraître
    la cendre blanche des vieux bois
    du langage et des éléments mêlés
    car tout est égal conquis d'un rien
    par l'air allègre et vif qui traverse
    le simple dessin des chimères
    dans la déchirure du grillage


    car toute pensée malgré elle
    fait entrer en pauvreté
    et s'émeut dans l'entrée
    des choses familières
    derrière lesquelles se condense
    une matière moins nocturne
    sous la peau des mains
    sous les rides bleues des veines
    les moires des orges remuant
    toute une page de l'histoire


    réanimée par le flux et reflux
    de ceci dont l'oreille
    se souvient encore
    le recouvrement du calme
    la royauté des vitrages restés captifs
    de ce qui fut ôté au mystère
    faute de lui avoir prêté tes yeux

    Daniel Martinez