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Relecture du manuscrit de La Recherche de Proust, précisément le quatrième paragraphe du feuillet d'épreuves qui regroupe les quatre thèmes essentiels développés autour des jeunes filles de Balbec, soit : le passage du temps, sous l'effet duquel les visages accomplissent une "révolution insensible", et le caractère éphémère de la jeunesse des jeunes filles en fleurs (j'y mets le "s" qui ne s'impose pourtant pas).
Elle suscite mon admiration, Gaëlle qui redoute d'entrer au collège à la prochaine rentrée scolaire, je la rassure, sous-entendant que le niveau général actuel n'est pas tout à fait le sien... et conclut pour le plaisir des sonorités par cette phrase qui me revient d'on ne sait trop où, lui en donnant la traduction : Cara mia selva d'oro richissimi capelli in voi quel laberinto amor intesse ond'uscir non saprà l'anima mia, soit : "Ma chère forêt aux cheveux d'or (c'est à Gaëlle que je pense, pour qui j'ai écrit d'une traite après sa naissance vingt-six lettres in Le Temps des yeux), l'amour tisse en toi ce labyrinthe dont mon âme ne pourra s'échapper."
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"De la mélancolie", un poème de Daniel Martinez
Et l'eau recouvre l'eau
un navire remonte jusqu'à
prendre le visage
d'une lointaine déchirure
dans les coulisses d'un miroir
elle voyage en elle-même
sur le seuil surprise du ciel
qui se coule dans la pénombre
et continue de scintiller
pour lui signifier le bruit de la nage
au retour vers le rivage
un soleil fauve l'effleure
l'infini devenu mouvement
sous le fouillis des heures
s'avance cette onde qui va
encombrée d'écritures
l'arracher aux soumissions
étreindre la peau tendre
de ses pieds nusElle est là souveraine
dans l'embrasure de la porte
qui te sourit jupons ébouriffés
jalousée par les dieux maladroits
fixant les cheminements de la mémoire
et les délices de la mélancolie
au travers d'un natté jaune d'or
une idée d'herbe remuée sous les mains
où l'on écoute le rien pénétrer
une histoire qui serait la sienne
quelque chose qui se rapproche
de ce qu'elle appelle de ses vœux
qui couvrirait ses chevilles glacées
muette mais certaine
des grands épanchements
qui président à notre destinée
quand vole file et flotte
la musique du vertige
et que reste inentamée
la chimie des vagues
ouvertes au plus offrant
aux choses que le temps
divise pour les réconcilier
Daniel Martinez
12/8/25 -
"Par qui", un poème de Daniel Martinez
Tu le revois sous la cassure de l'orage
une évanescente main de cartes
passée entre les doigts l'écho d'un rire
comme si ce n'était pas toi l'adolescent
nos visages se touchent mais aucune parole
ne vient enluminer les herbes de juillet
Villes d'or assoupies cités imaginaires
qui furent accordées
aux yeux ronds des oiseaux
est-il même certain que d'éclats en éclats
entrevus dans ces moments où
la contemplation absorbe
la pâleur qui s'élève
une promesse peut-être
lancée à la va-vite
noyée dans l'ocre du mur
soit réelle puisse infléchir le chemin
pour le sublimer plus que l'identifier
Lui s'élançait dans le paysage flou
désireux de repousser l'échéance
le demi-jour cendré
il avait fini par regagner
le pays de ses lectures
quand des perles filaient
sur le bois des fenêtres
derrière feuilles ronciers
lianes rideaux de lierre
roulaient sur des photographies
à bordures dentelées
avec cette couleur étrange
que prennent les iris
remis à l'espace dissocié du tempsTu le revois au pied des trois jarres
laissant mûrir les minuties et le grandiose
sans renier l'assise le syllabes de l'eau
l'haleine même des mousses sur la pierre
comme au fond du texte voyage l'inscription
qui serpente et se perd
fait germer l'infime phrase
que d'invisibles fils arrachent à la mémoire
entre le ferme le mouvant
alors eux deux s'arrêteront là
sans plus ni moins
que l'esprit d'aventure
propre à ceux qui ont voulu
se reconstruire avant de ne plus se dire
Daniel Martinez
le 20 / 7 / 25