Journal
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Dehors sans point d'ancrage
Dehors délivré
Dehors avec la sensation
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Un art majeur : quelques réflexions sur "Autres séjours", de Jean-Claude Pirotte
"J'ai besoin de l'interdit" écrivait Jean-Claude Pirotte dans un recueil qu'il m'a dédicacé : "Autres séjours", lui qui me disait avoir mangé du hérisson avec les Manouches du temps où la faim le tenaillait. La vie est ainsi faite, de bas et de hauts, acceptables, inacceptables selon. Il n'a jamais flanché cependant : "viennent les choses en venant" fut son leitmotiv, je n'oublierai pas qu'il a confié à Diérèse certains de ses écrits non publiés en livre.
Après coup et trop tard, me reprochant à moi-même d'avoir permis que paraisse dans la revue une critique des plus moyennes à la sortie de cet opus imprimé à Millau, paru en octobre 2010 au Temps qu'il fait. La critique est certes plutôt corruptrice, mais...
Une époque charnière que ces années-là où je commençais seulement à me défendre des ombres de ce monde, à reconnaître la "santé transcendantale" dont parlait Novalis, confrontée aujourd'hui aux langues cybernétiques des ordinateurs.Plus loin dans ma lecture, en page 167 :
"j'ai rêvé d'une autre demeure
moi qui vis entre mes vies
si souvent sans domicile..."
cette fuite en avant, consentie, acceptée comme telle et qui relève de l'intuition, celle que l'existence nôtre vaut en elle-même plus que nos mésaventures, diverses et variées.
Une lettre d'Henri Bergson (un auteur que je cite dans mon prochain édito de Diérèse 94, à propos de son dernier livre, La pensée et le mouvant). Dans l'une des trois lettres que Bergson adressa à Ernest Seillière, philosophe et historien de la littérature, lettres restées inédites ce me semble à ce jour, Henri B. note :
"Je suis d'ailleurs prêt à admettre ce que vous dites de la surveillance nécessaire de l'intuition par l'intelligence." Est-ce que Jean-Claude Pirotte était lui prêt à l'admettre, je ne le crois pas. L'intelligence calcule, l'intuition pose, entaille, soulève l'écorce de la raison qui trop collée au tronc de nos certitudes se déchire. "L'écriture, une manière de refuser" ai-je lu quelque part. Eu égard à un monde littéraire plus cloisonné qu'il n'y paraît, où dame poésie essaie tant bien que mal de recouvrer son lustre perdu, elle qui fut longtemps considérée comme un art majeur. Mais rien n'y fait. Les poètes demeurent les mal-aimés de la littérature.
Au juste, quel est le temps du poète ?, question vaine, à mon sens. Car il s'inscrit dans ce qu'il éveille, et vice-versa. J* me fait remarquer ces vers de (sans)"Détours", poème écrit il y a peu, pour le blog :
« car toute pensée malgré elle
fait entrer en pauvreté »
Oui, dérivée de son essence même. C'est un joyau clair, sans valeur marchande, aux feux changeants. Et, comme telle, la pensée qui fait entrer par la petite porte dans la polyphonie du monde laisse l'écrivant toujours en deçà de sa quête. Ce qui nous travaille de l'intérieur nous dépasse infiniment.
Daniel Martinez -
"Détours", un poème de Daniel Martinez
A l'instant que le soleil visite
le chant liquide de la flamme
sur les roses trémières fleurs de chair
où la vie attend de paraître
à nu de mots prise dans les creux
de la métamorphose
où s'écrit en silence
la teneur de chaque tremblement
Perds ton habit d'homme
ce visage qui s'éloigne
n'est plus le tien
ni celui d'août enfiévrant les pierres
à seule fin de mieux voir paraître
la cendre blanche des vieux bois
du langage et des éléments mêlés
car tout est égal conquis d'un rien
par l'air allègre et vif qui traverse
le simple dessin des chimères
dans la déchirure du grillage
car toute pensée malgré elle
fait entrer en pauvreté
et s'émeut dans l'entrée
des choses familières
derrière lesquelles se condense
une matière moins nocturne
sous la peau des mains
sous les rides bleues des veines
les moires des orges remuant
toute une page de l'histoire
réanimée par le flux et reflux
de ceci dont l'oreille
se souvient encore
le recouvrement du calme
la royauté des vitrages restés captifs
de ce qui fut ôté au mystère
faute de lui avoir prêté tes yeuxDaniel Martinez