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"Sens unique", de Malcolm de Chazal, éditions L'Ether Vague, 21 décembre 1985, 102 pages, 65 F

Du 11 septembre 2024 au 19 janvier de cette année, a eu lieu à la Halle Saint-Pierre (à Paris) une exposition de l'œuvre plastique de Malcolm de Chazal, qu'André Breton considérait comme un surréaliste, rétrospective ainsi présentée :

« Génie, ce nom et aucun autre ». Adulé autant par les surréalistes parisiens que par Georges Bataille, Francis Ponge ou Jean Dubuffet, l’irruption de Malcolm de Chazal dans le milieu artistique de la Ville Lumière fut aussi fracassante que brève. Dans le monde de ce véritable démiurge, aussi poète que peintre, le quotidien se fait merveilleux, les fleurs vivent en symbiose avec les hommes, les couleurs et la lumière dansent dans une transe à la beauté quasi-divine. D’abord élevé au rang de génie avant d’être jugé fou par ses pairs, l’artiste incompris voit dans les montagnes de son Île Maurice les vestiges d’un continent englouti, un cosmos peuplé de fées, une nature de couleurs et de sensations. C’est par la peinture que Malcolm de Chazal fixe l’âme de son île, à travers des séries de toiles à la frénésie créatrice libérée, faussement enfantine. Ici, les couleurs explosent, des pigments inattendus révèlent les couches cachées d’un monde invisible. Comme un fascinant voyage à travers les méandres d’un esprit mystique, cette exposition lève le voile sur l’art magique et irrationnel d’un peintre qui a su capturer la beauté de son propre univers.

Ce Mauricien, né en 1902 à Vacoas, et décédé en 1981 sur cette île toujours, de l'océan Indien. Il est surtout connu dans l'Hexagone par Sens-plastique, publié en juin 1948 par les éditions Gallimard, préfacé par Jean Paulhan, un recueil à prédominance aphoristique, citons "La bouche est un fruit qu'on mange à même la peau."
Sens unique est un ouvrage moins connu, empreint d'un mysticisme cher à l'auteur, publié en 1974 à l'île Maurice et resté inédit en France jusqu'en l'année 1985. Ce texte est le pendant de L'Homme et la Connaissance, publié la même année chez Jean-Jacques Pauvert. Malcolm de Chazal a crée une cosmogonie où l'intelligence se fait par la connaissance de l'Extra visible.
Chantre de l'Univers Magique, il dévoile par le langage des correspondances les corrélations universelles, au sein desquelles s'échafaude une expérience entre les sens. Cette philosophie du Vivant qui le caractérise (à l'inverse d'un Maurice Blanchot ou d'un Michel Foucault dont les propos sur le sujet me laissent de marbre : "Je parle en quelque sorte sur le cadavre des autres." in Le beau danger, éd. EHESS), alchimique même, flirtant avec l'occultisme et non conventionnelle, elle fait justement la part belle au corps humain, sous toutes ses facettes, sans cesse magnifié, dans un parfait accord avec la nature : "La fleur est en même temps sein, bouche et sexe, femme au complet, sexe-trinité dans l'unité." (Sens-plastique), métaphore devenue, dans Sens Unique : "J'ai humanisé la fleur. J'humanise tout par mon pinceau."
Le sens unique est in fine à entendre comme une uniconscience, issue d'une reconstruction mentale, où le Fabuleux rime avec l'esprit d'enfance : "L'entant relie tout, comme le poète. Le terme religion (latin ligare, lier) prit pour moi un nouveau sens. On enseigne à l'enfant les religions, lui qui connaît tout, et ainsi on le détruit".

 

 

 

Chapitre II

L'entrée dans la vie et "Sens Plastique"

J'eus seize ans dans les Montagnes Rocheuses au Canada lorsque je gagnais l'Amérique par l'ouest, pour mes études. Pendant cinq ans, je fis à l'Université de Bâton Rouge, en Louisiane, ce que j'appellerai mon supplice de la fausse connaissance, bien que continuant ma vie d'autrefois, telle que je la vivais à Curepipe. J'en sortis cinq ans après avec un diplôme d'ingénieur sucrier.

Après quelques mois à Cuba dans une usine sucrière, je revins à l'Ile Maurice. Avant un an j'avais jeté aux orties mon diplôme. Pour être libre je pris un poste dans le fonctionnariat au bureau des téléphones. Enfin, j'étais libre.

Je me suis appliqué tout d'abord à écrire des livres sur la question économique. (A Bâton Rouge j'éblouissais mon professeur par mes hautes envolées dans le calcul intégral. Mais je n'ai jamais pu compter. La géométrie me semblait une insanité).

Vint enfin un hasard. Je discourais après un bal à Rose Hill - énervant les femmes qui m'entouraient par mes ironies dévastatrices. Le lendemain matin je consignai mes "réflexions" dans un petit carnet à couverture rouge, au Jardin Botanique de Curepipe. Dès ce moment, ce jardin féérique, proche de la demeure que j'habitais, fut le lieu où allait s'ordonner ma pensée.

Le Jardin Botanique de Curepipe est un monde infini où les camélias alternent avec les azalées, et qu'inonde le bruit de petits ruisseaux chantant parmi les mousses. Ici l'oiseau cardinal et le boulboul ponctuent le murmure de la lumière. Ici règne la paix. C'est là que j'ai créé. Peu à peu, j'enchantais le monde enchanté. Le jardin devint moi.

Un jour, par une après-midi très pure, je marchais quand, face à un bosquet d'azalées, je vis pour la première fois une fleur d'azalée me regarder. C'était la fée. "Sens plastique" était né. La plume à la main, en marchant, j'ai écrit tout "Sens plastique" aisément. Car tout m'était dicté.

Qu'est-ce qui sépare le poète-enfant de l'enfant ? Rien. Tandis que le poète adulte mérite sa vision, l'enfant obtient tout par la grâce du ciel. Le poète adulte fait son ciel par ses propres forces, aidé d'En Haut. L'enfant connaît la féérie, le poète a une volonté de féérie. C'est la grande confirmation après le baptême de vision de la tendre enfance.

"Sens plastique" fut édité rue de l'Eglise à Port Louis par Thomy Esclapon, qui fut dans la circonstance un héros. Parce que le livre parut, ce fut un grand éclat de rire dans le pays. C'est le livre d'un fou !" s'exclama-t-on de partout. Les calomnies à l'appui, ce fut L'OBSTACLE. Depuis, je n'ai connu dans mon pays qu'une opposition, qu'un refus qui auraient pu me briser, qui durent, cachés mais toujours, frénétiques.

A Paris, à l'arrivée du livre, tout commence chez Francis Ponge, un écrivain surréaliste. Jean Dubuffet faisait un portrait de Francis Ponge.

Sur un guéridon était le livre. Le regard de Dubuffet fut accroché par une vignette de Hervé Masson sur la couverture, exprimant le thème de Narcisse.

Dubuffet prit le livre et reçut le choc. Ponge dit : "Cet homme a été plus loin que Lautréamont."

Dubuffet alla voir Jean Paulhan, son ami, à la rue des Arènes. Paulhan à son tour alla voir Loys Masson. Il lut le livre. On connaît le reste.

"Sens plastique" n'a pas été compris par les écrivains français, mais a été acclamé par les peintres. Georges Braque m'écrivit : "Je communie avec vous à travers les mers."

Il y eut deux séminaires dans la capitale française. L'un sur la rive gauche avec le surréalistes. On parla de Raymond Roussel, l'auteur de "Poussière de soleil". Et naturellement de la liaison du conscient et de l'inconscient.

Sur la rive droite, ce fut une séance occulte présidée par Mircea Eliade, l'expert en yoga. Il fut question du martinisme, d'une initiation hindoue. On tourna absurdement en rond. Il n'y avait pas tout cela.

Quels furent encore les commentaires ? Le professeur Eric Von Richthofen à Francfort-sur-le-Mein nota l'incapacité des poètes d'arriver à une métaphore en fusion. C'est ce que je faisais. Renchérissant sur ce point, un écrivain français voulut rapprocher la métaphore sens-plasticienne de la transverbération de Sainte-Thérèse d'Avila.

Laissons cela. Après une courte flambée, "Sens plastique" connut le silence, l'oubli. Au pays de René Descartes, toutes portes s'étaient fermées pour moi.

Entre-temps je me repliais sur moi-même. Et je montais.


à suivre..............................

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