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Entretiens

  • La gouvernante de Marcel Proust, Céleste Albaret, interviewée par Jean-Pierre Morphé

    Un entretien de "première main", bien plus intéressant que celui de Paul Léautaud, conduit par le même Jean-Pierre Morphé. Céleste Albaret est restée au service de Marcel Proust, jusqu'à la mort de l'écrivain en 1922. Jean-Pierre Morphé a pu recueillir cet émouvant témoignage de l'ancienne gouvernante.

    Céleste Albaret : La guerre lui ayant enlevé son valet de chambre, je restai auprès de lui et, petit à petit, il s’habituait à mon service. Je peux le dire, il m’avait donné une telle affection et un tel attrait de son charme et de sa personnalité émanaient quand on le connaissait que, quand il fut mort, je crus ne pouvoir plus vivre dans ce service tellement tout le monde me parut impossible. À ce moment-là, il construisait son livre, il travaillait, il me mettait au courant de beaucoup de choses et je fus toujours attirée par cette sensibilité, cette délicatesse qu’il avait pour toute chose, et on avait à chaque instant une espèce de vision qu’il devinait votre pensée et savait vous dire tour à tour ce qui vous faisait plaisir. 

    Jean-Pierre Morphé : Je sais que la chambre de Marcel Proust a beaucoup compté dans sa vie et cette forme d’existence apparaît d’ailleurs constamment dans son œuvre. Est-ce que je peux vous demander de décrire sa chambre, votre première entrée dans cette pièce ? 

    C.A : En effet, quand j’arrivai pour la première fois dans la chambre de Proust - qu’il ne quittait presque jamais - je fus un petit peu émue, étonnée, car c’était pour moi une grande surprise. Je le lui ai raconté plus tard, car j’ai eu l’impression, comme il avait une chambre avec du liège, qu’il n’était entouré que de livres, d’un superbe piano et de meubles jolis. Mais comme le plafond était en liège, on se serait cru dans une espèce de galerie de mine. Et alors, il était là, tout seul, entouré de tous ses livres, on ne s’apercevait plus de rien que de lui-même tellement son regard et sa façon d’être étaient particuliers. 

    J-P. M. : La première fois, je pense que vous avez dû y entrer assez fortuitement puisque vous n’étiez pas encore à son service ? 

    C.A. : J’y suis entrée très gênée, un peu intimidée, d’autant plus que j’avais peu l’habitude de Paris et de la ville. Proust lui-même portait quelque chose de particulier dans son regard, d'intimidant parce que je n’osais pas m’approcher. J’étais intimidée par sa chambre si particulière, je fus étonnée de sortir du grand salon illuminé et si clair et de rentrer dans une chambre avec un éclairage si modeste et lui, étendu, travaillant dans ses cahiers. Comme il était asthmatique, il y avait une atmosphère de poudre Legros. Parfois, à son réveil, il étouffait et il "fumait" un peu de poudre Legros qui restait dans la chambre*. Il y avait très souvent dans sa chambre de la fumée au moment de commencer son travail. J’ai été très étonnée de cette odeur, de cette espèce d’atmosphère et de cette chambre en liège qui faisait très triste.

    J-P. M. : La fumée avait noirci le liège qui avait peu à peu isolé la chambre.

    C.A. : Oui, comme un bouchon qui se patine et devient un petit peu couleur de bois.

    J-P. M. : Il passait la plupart de ses journées étendu, entouré de tables de travail près de son lit ?

    C.A. : Marcel Proust vivait complètement allongé presque tout le temps et ne se levait que pour sortir, quand il faisait des visites à ses relations qu’il avait fort nombreuses et qui l’attendaient avec beaucoup d’empressement et lui apportaient tout ce qui pouvait lui faire plaisir. À ce moment-là je m’occupais de sa chambre, des livres et des papiers car, hors de ces instants, il ne permettait pas qu’on s’en occupe. Quand il rentrait de ses visites ou qu’il était chez lui, il restait allongé et travaillait toujours à son livre sur une petite table de chevet chargée de ses notes, de ses livres et d’un petit plateau sur lequel on servait son petit-déjeuner.

    J-P. M. : Je crois qu’il s’alimentait d’une façon très réduite.

    C.A. : Il mangeait très peu car il disait que, quand on mangeait beaucoup, on ne pouvait pas travailler. Il prenait peu de choses, un café au lait et des croissants. De temps en temps il avait des désirs, car il était très gourmet. Quand il voulait un plat, il le faisait porter de chez Larue et plus tard, il était devenu un fervent du Ritz, c’était l’hôtel Ritz qui faisait apporter ce qu’il désirait.

    J-P. M. : Car on ne faisait aucune cuisine à la maison ?

    C.A. : Si, dans les derniers temps, mais très peu. Je lui faisais quelquefois quelque chose comme des pommes de terre frites et un poulet, des choses comme cela qu’il aimait beaucoup, mais j’en faisais très peu peu et rarement. Je dirais même que, les dernières années, il n’en prenait presque jamais.

    J-P. M. : Je pense que sa maladie devait le rendre très sensible aux odeurs et qu’il devait les proscrire avec soin ?

    C.A. : Marcel Proust ne supportait aucune espèce d’odeur ni aucun parfum, pas même des fleurs. Il ne voulait rien dans la maison dont puissent émaner des odeurs. C’est pour cela que nous vivions sans faire la cuisine, pour qu’il ne reste aucune odeur de quoi que ce soit. Même le chauffage central était isolé de son appartement par des enveloppements qui atténuaient l’odeur du calorifère.

    J-P. M. : Mais comment se chauffait-il ?

    C.A. : Il ne supportait aucun moyen de chauffage, uniquement le chauffage au bois, et avec du bois qui ne sent pas. Il fallait choisir du bois tout à fait bon, bien sec et qui ne fasse aucune odeur en brûlant autant que possible. Il ne se chauffait qu’avec ça.

    J-P. M. : Est-ce que je puis vous demander de raconter une journée de Marcel Proust non point dans les détails mais sa forme de vie ? Je crois qu’il travaillait surtout la nuit ?

    C.A. : On ne peut pas décrire d’une façon régulière la manière dont vivait Proust. Ce que je peux dire c’est que quand des amis venaient le voir, ils me demandaient s’ils pouvaient revenir à telle heure. Et je ne pouvais donner la confirmation de Proust, je leur faisais simplement dire de repasser, à tout hasard, et que, dès que je le verrai, je lui demanderai s’il leur permettait d’être reçus.

    J-P. M. : Je sais, en revanche, que jusqu’à la fin de sa vie, pour son œuvre même, il s’est imposé de sortir beaucoup et d’aller dans un certain nombre de soirées qui lui servaient surtout à construire des personnages et à acquérir des modèles.

    C.A. : Nous sommes allés à Cabourg en 1914 et j’ai eu le grand plaisir de pouvoir l’accompagner, de connaître des choses qui ont fait une partie de son œuvre. Pendant la guerre nous avons dû quitter l’hôtel au moment où on le réquisitionnait pour les grands blessés. Nous sommes rentrés à Paris. Il m’a dit : "Céleste, tout est fini pour moi, pour le dehors de la vie, car je prends maintenant la décision que mon travail est un devoir comme les soldats qui sont sur le front, je dois rester à mon travail et je ne sortirai jamais plus." De ce jour-là il n’est jamais plus sorti pour prendre aucune espèce de vacances, de repos et, quand il sortait, ...

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  • "Noone", de Lydie Dattas, éd. Mercure de France, collection Poésie, octobre 1970, 80 pages

    Parmi les livres qui se publient en nombre à chaque rentrée littéraire, il en est un qui fait bande à part. Il n'avance pas avec les vagues. Il flotte, immobile, blanc, comme l'un de ces oiseaux qui se posent sur la grosse mer. Il renvoie bien la lumière, il est lisse, il a l'air tout neuf. Ce sont vingt-trois poèmes, dont cinq sont écrits en anglais. Ils relèvent d'une beauté puissante, comme on dit "l'hydrogène naissant", qui se prête malaisément au commentaire. Il a paru simple de faire parler l'auteur. C'est une jeune fille grande, brune aux cheveux coupés court, pâle, vêtue d'un chemisier sable, en pantalon et blouson sombres. L'entretien, qui a eu lieu en octobre 1970, a été court.

    Michel Cournot

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  • Hubert Lucot s'entretient avec Alain Veinstein, septembre 1984

    Hubert Lucot est un auteur hors du commun, que j'ai découvert en 1984, alors qu'il composait "Le Grand Graphe", ouvrage alors composé d'une seule page aux phrases entrecroisées, sur une surface de 12 mètres carrés, plus tard édité par Tristam (1990)... Nous publiions alors dans Les Cahiers du Shibboleth, une revue de poésie éphémère et bien sympathique, sise à Bègles, dirigée par Francis Giraudet et Bérénice Constans ; l'ami Jean-Claude Pirotte, tout comme William Cliff y ont aussi participé - sans oublier de mentionner Pierre Bettencourt, Antoine Emaz, Claude Louis-Combet, Marcel Béalu, Claude Pélieu... et bien d'autres, qui me pardonneront de n'être ici qu'allusif.

    Son histoire ?, il ne s'en cachait pas. On peut la lire - en ce qui regarde les dernières années de sa vie - dans Diérèse 63 : numéro paru en avril 2014, avec des extraits de Sonatines de deuil (ce, en avant-première). Un an plus tard, Sonatines de deuil devait paraître chez Hachette, collection P.O.L.
    Que disait-il alors, qu'écrivait-il ? Hubert Lucot avait rencontré Anne-Marie Bono (dans ses livres : Annie B., puis A.M.) en août 1955 dans le Sanatorium des Etudiants de France, à Saint-Hilaire-du-Touvet (Isère). Et ils décidèrent de se marier, à Paris, en août 1958.
    Décès de sa femme le 9 août 2012. Sonatines de deuil est un journal qu'Hubert Lucot commença à rédiger quelques semaines après la mort de son épouse. Ce qui avait paru dans Diérèse 63 : les pages datées du 1er septembre au 1er novembre 2012.

    ... L'entretien qui suit a eu lieu au cours de sa quarante-neuvième année, rue des Tournelles, du côté du quatrième arrondissement parisien, alors que venait de paraître Langst (éd. Hachette, collection P.O.L.).
    Pour mémoire, Hubert Lucot a commencé à être publié en 1969, à 34 ans - et non à 45 ans, comme il a pu (parfois) l'écrire, sur le tard.

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