Patrick Laupin : "Le jour L'aurore", éditions Comp'Act, vignette de couverture d'Henri Jaboulay, janvier 1987, 80 pages
Patrick Laupin est né en 1950 à Carcassonne. Il a publié une trentaine d’ouvrages de poésie, prose, récits, essais, qui sont des tentatives de restitution des lieux de la mémoire et de leurs effets vécus en corps. Il a créé à Lyon en septembre 2009 les journées d’écriture qui explorent l’étrange et merveilleuse présence du langage en chacun et les liens entre biographie, histoire et inconscient. Il anime des ateliers d’écriture fondés sur la rencontre et la découverte du Livre intérieur que chaque humain porte en lui. Il travaille avec des enfants dits autistes, en échec, perdus dans le langage ou refusant l’expression, mais dont la faim d’une inscription dans la lignée humaine scintille parmi la logique du vivant. Parallèlement, il a publié des livres, en apparence très différents, sur Mallarmé, sur les mineurs de fond des Cévennes, mais dont l’esprit commun tient au fait que quiconque écoute tient en vie son prochain.
La Société des Gens de Lettres lui a décerné son Grand prix en 2014 pour l’ensemble de son œuvre poétique. Il fut lauréat du prix Kowalski 2016 pour son livre Le Dernier Avenir (La Rumeur libre éditions). Au printemps 2018 le prix Robert Ganzo lui a été décerné pour l’ensemble de son œuvre. En 2021 il a reçu le prix Max Jacob pour son ouvrage Mon livre, paru aux éditions du Réalgar.
Le livre aujourd'hui présenté, "Le jour L'aurore" est divisé en trois chapitres, des extraits du premier de ceux-ci, au titre éponyme, suivent :
Le jour l'aurore
des torches d'aube encore
dans la lisière froide des peupliers
le jour qui vient à nous parmi les pierres
ce matin à gué
où les brumes ne s'élèvent pas plus haut
que la fatigue
plutôt la pluie, disais-tu, cette pluie déserte soudain
comme une étendue d'oubli
plutôt ce gris ces villages déserts
plutôt les matins atteints par la chaîne, disais-tu toujours
traversant la terrasse, touchant le soleil de face (dernières
lueurs fauves jetées sur les jours de novembre)
plutôt l'absence de bonheur nue dans l'herbe rase
plutôt ce dernier automne, clair feu mourant sur les fougères
ô mon éternelle ma martelée mon souffle
Il y a bien longtemps, elle traverse le jour gris, foule de ses souliers les fleurs blanches d'acacias éparses sur le sol mouillé
personne ne vient plus jamais dans notre quartier, dit-elle
(murs dévorés d'aube, la terre ocre ravinée par l'orage).
Des années après je regarde arriver le même train. Vertige des rails perdus dans l'amas des broussailles. Le talus où je m'appuyais pour l'attendre. Sa robe rouge ou lilas (sandales, grande robe de gitane), sa robe serrée à la taille par une large ceinture de cuir souple, sa robe satin jamais froissée, imprimée de motifs noirs.
les fumées de l'aube
le souvenir proche et tremblant
d'un village déchiré sous les brumes
nous sommes seuls
le jour l'aurore
les arbres tremblent
comme un délire
le langage le monde
ne nous appartiennent pas
le saut de la lisibilité
matin cortège d'aube chaland en pointe
ce cœur noué au manque à l'immobilité pesante de brume
quitte à passer dans cette chose qui meurt