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Editions Les Deux-Siciles

  • "Les herbes vertes s'étendent jusqu'à l'horizon" Anthologie de la poésie chinoise (1912-1949) aux éditions Les Deux-Siciles

    Guomei Chen, "Les herbes vertes s'étendent jusqu'à l'horizon : Anthologie de la poésie chinoise (1912-1949)" aux éditions Les Deux-Siciles c/o Daniel Martinez, 8 avenue Hoche, 77330 Ozoir-la-Ferrière, 196 pages, 25 € port compris.

    Dans la peinture de paysage de la dynastie des Song du Nord (960 - 1127) - mais pas seulement - un (ou quelques-uns) personnage minuscule, juste esquissé, apparaît bien souvent au premier plan. Non point écrasé par la majesté des monts, le grondement des eaux... figurant à l'arrière-plan, mais comme saisi, avalé par tout un univers.
    Il est l'âme de cet univers. Univers qui le pénètre et qui l'habite.
    Cet être mortel, presque inexistant, existe cependant, participant de ce "grand tout". Il est œil des nuages, mais aussi brin d'herbe ou nœud de bambou.
    Par le silence d'un regard, ne fait-il pas exister ce paysage ? "À sa façon, il tend à n'être rien pour devenir tout"(1). Univers même qui le rend à la vie. Toute distance abolie entre sujet et monde - c'est-à-dire faire un avec la nature entière.

    Pareille à la peinture - la calligraphie et la musique - la poésie en Chine, depuis tantôt trente siècles, entretient d'étroites relations avec l'homme et l'univers.

    Elle a également eu pour fonction, l'éducation et l'édification du lecteur dans le cadre d'une démarche et d'un état d'esprit confucéens ; surtout sous la dynastie Han (206 av. JC - 220 ap. JC).
    Ainsi l'écrit par le pouvoir des signes, a-t-il pris au cours du temps, une telle importance - grâce en partie, à l'éclosion de grands poètes - que furent créés sous la dynastie Tang (618 - 907), des concours de poésie pour le recrutement de fonctionnaires.

    Poésie classique articulée autour de deux genres principaux : "le poème réglementé (shi) embrassant deux formes dominantes, le quatrain (jueju) et le huitain (lüshi)", d'une part ; "le poème chanté (ci), écrit sur une mélodie préexistante", d'autre part (2). Laquelle, commandée par des règles prosodiques complexes et très strictes mais également très codifiées (symboles récurrents...), a évolué au fil des siècles jusqu'à connaître une forme de sclérose.

    Ce n'est que lors de ce vingtième siècle, entre la fin de la dynastie Qing (1616-1912) et l'arrivée au pouvoir de Mao Zedong en 1949 instaurant la République populaire de Chine, que se libère la parole conduisant à une ouverture sur le monde et plus particulièrement sur le monde occidental.
    Cette courte période (1912-1949) dite République de Chine, représentée par Sun Yat-sen, a cependant connu de multiples événements et bouleversements.
    C'est de celle-ci que traite la traductrice Guomei Chen dans son livre "Les herbes vertes s'étendent jusqu'à l'horizon", à travers dix poètes, dont trois poétesses. Chacune et chacun ayant droit à une présentation en rapport avec le temps et l'espace (contextes historique, social et géopolitique), suivie d'un choix de textes en version bilingue.
    Ainsi découvre-t-on une nouvelle poésie - dite "moderne" et/ou "libre" - plus proche "d'une langue parlée" - se substituant à la langue écrite dès 1920, sous l'impulsion de l'écrivain Hu Shi (1891-1962) - et traitant du réel le plus immédiat, impliquant ou suggérant vécu et/ou impressions de son auteur. L'une n'excluant point l'autre, on peut goûter pareillement une pratique continue de cette poésie dite classique en plein renouveau.

    Poésie peignant la vie de gens simples : "Il martèle de haut en bas, / et le fer sur l'enclume, / brillant d'une couleur de sang, / éclaire la sueur sur son front, / comme son ample torse nu." p.51, "Le Forgeron", Liu Bannong. Ou encore : "Dans la rue ..." / j'ai aperçu un charpentier très âgé./ ... / A le voir manipuler sa lourde hache, / il semblait à bout de forces. p.167, Mu Dan.

    Poésie exprimant la mélancolie : "... Elles bruisseront encore, / quand bien même ce serait de désespoir, / quand bien même ce serait leur dernier mot." p.57, "Feuilles mortes", Liu Bannong. Ou encore pleurant une amie disparue : "... c'est un bouquet de camélias rouges que je dépose au pied de ta tombe, / je t'attends, la nuit n'en finit pas, / alors que tu es là allongée, à l'écoute des murmures des vagues."p.129, "Devant la tombe de Xiao Hong", Dai Wangshu.

    Poésie déclamatoire, pleurant un amour perdu : "Je n'attends pas d'avoir partagé ta vie, même pour peu de temps, / et ne te demande même pas de m'aimer. / J'espère pouvoir te croiser dans mes plus belles années !" p.72, Xu Zhimo.

    Mais aussi lyrisme de cette poésie qu'elle soit ou non déclamatoire, énonciatrice ou évocatrice ... dans son rapport à la nature. Comment ne pas être conquis par les figures et images qu'elle génère : "L'ombre du pont ne veut pas que le soleil couchant se retire" p.43, "Nan Lou Ling", Lü Bicheng ; "sur l'eau flotte le lotus blanc de tes rêves." "Tu es un jour d'avril du monde" Lin Huiyin ; ou encore "comment savoir quand l'origine a pris forme en ces lieux ?" p.177, Poème 5, Mu Dan.

    Fruit d'un temps vécu ou d'un temps rêvé, cette écriture ancrée dans le réel, peut remonter aux sources de la création et en dévoiler une part de mystère. Pour cela, le poète doit entrer en communion avec la nature, se fondre en elle. Il participe ainsi au rythme de l'univers.

    Guomei Chen, dans son travail de traduction, a gardé à l'esprit le rôle joué par la nature, mais aussi veillé à restituer, autant que faire ce peut, la musique des mots sans altérer le sens des textes.
    Elle nous a surtout fait découvrir des voix d'une Chine aujourd'hui disparue. Voix à la recherche de nouvelles formes d'expression sans pour cela abandonner cet imaginaire constituant l'identité chinoise ; l'être profond.

    "L'asservissement des arts" à une ligne politique édictée peu après l'avènement du Président Mao, conduira à l'étouffement - peu ou prou - de diverses formes de création.
    Cependant, en poésie comme en peinture, l'être-au-monde dit et dira le monde aussi longtemps que les herbes vertes s'étend(ront) jusqu'à l'horizon.

    Paul Cabanel

     

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    (1) "L'homme authentique de Zhuangzi ne cherche rien pour profiter de tout. À sa façon, il tend à n'être rien pour devenir tout."
    (2) Pour entrer dans le vif du sujet, se reporter à l'avant-propos de l'ouvrage de Guomei Chen.

  • "D'ores et déjà" : Daniel Martinez, éditions Les Deux-Siciles, 19/10/2021, 100 pages, 14 €, une recension de Michel Diaz

    Cinq sections, proses poétiques et vers, composent ce recueil dont il faut pénétrer la matière dense pour en saisir l’architecture et en comprendre la portée, car ce qui s’y joue relève tout autant de la vie intérieure de leur auteur que de la vie multiple et foisonnante qui nous cerne, anonyme parfois, souvent invisible. Relève tout autant encore de ce qui fait racines dans le perpétuel étonnement du vivre que dans le désarroi où nous plonge le fait d’être au monde. Aussi est-ce le souffle d’un incessant questionnement qui, de page en page, conduit cette démarche d’écriture, tout irriguée d’élan vital et animée de cet esprit, sensible et attentif à tout, qui puise à la ressource d’une force essentielle où toujours tout renaît des tensions outrepassées / quête longue / errance dans le bleu de l’oubli / que n’effleure pas même la pesanteur ou encore trame inlassable / (où) choses et lieux aimés / exhaussent la moindre faille du songe.

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    Xavier Makowski a réalisé la maquette de la couverture

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  • "Les Treize empereurs" : Christophe Manon, éditions Les Deux-Siciles, 27/11/1998, 6 dessins à la mine de plomb de Pacôme Yerma, 40 p., 222 ex dont 22 ex de tête sur Popset Camel

    Le Pérou n'était pas le Pérou pour les Amazoniens devenus "Incas". Leur territoire était le Tayantisuyu (les quatre quartiers du monde, division attribuée aux Aymaras et correspondant peut-être aux points cardinaux : Chinchasuyu, Kollasuyu, Kuntisuyu, Antisuyu).
    L'empereur, l'Inca-Fils du Soleil, investi par le Grand Prêtre, monarque absolu thaumaturge, marque son temps, ce à quoi Christophe Manon dans les poèmes de ce livre a été sensible, entraîné aussi par l'image métaphorique ou/et le symbole propres aux rythmes sonores, à la musique magique des vocables quichuas. L'évocation des treize empereurs Incas porte en filigrane, non seulement le déroulement légendaire et historique du temps incasique (les Soleils, les événements y attachés), mais encore leurs mœurs contrastées - à l'image du Soleil : fécondation/destruction - et la longue entreprise annexionniste bientôt centrée sur le Qoricancha (Temple du Soleil à Cuzco), puis l'intrusion du temps hispanique dont on sait qu'il provoqua l'effondrement de l'empire : l'ancien gardien de pourceaux, Francisco Pizarro, avait en effet débarqué non loin de Tumbes, dans le torride golfe de Guayaquil...
    Premier livre de l'auteur, fascinant à plus d'un titre, qui décrit sans prendre parti mais en laissant entendre, sans décontextualiser jamais. Et qui n'est pas sans rappeler l'esprit du recueil de Jean-Pierre Faye : Le Livre de Lioube, éditions Fourbis (1991).

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