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Journal - Page 5

  • "L'espace au-devant qui se trace", un poème de Daniel Martinez

    Comme un ressort ôté de toute horloge
    qui se dépenserait en tremblements soubresauts 
    menus délires et rebondissements épars
    la vie investit les lambeaux les débris et les bribes
    de nos silences qui valent autant
    que le temps immobile 
    que les gouttelettes de brouillard
    déposées sur la face cachée des liserons
    saisies au biais de l'œil
    les vents t'apportent
    en manière de musique
    la libellule d'automne près de l'eau
    du bassin qui creuse à mesure
    une entaille profonde dans l'air
    vole l'éclat bleuté de tes larmes ma belle
    et l'écho dessiné autour de nos destins
    ne dit rien moins que la pâte pauvre et mince
    alourdie des tracas comme l'éclair entrevu
    dans cette folle course après 
    la lyrique tendresse de la mort qui nous guette.


    Plus que jamais le pays reculait
    telle une lanterne sourde sur nos visages
    sa lueur immanente dévoilant
    les quatre facultés de la Nature
    tout est là qui se donne sans compter
    tu essaies de penser à chaque goutte d'eau
    chaque goutte de sang qui traverse nos veines
    ne sachant plus qu'attendre 
    ne sachant plus que dire
    quand les vents de l'esprit auront quitté
    les mille yeux de la mémoire
    et que ta main profuse surabonde
    se sera immiscée entre les lèvres du monde.

    Daniel Martinez

     

  • Pages de mon Journal : du 31 mars au 6 avril 25

    Le printemps, avec toutes ces exhalaisons florales, ne me convient pas vraiment, un rhume persistant qui m'empêche ces jours-ci de respirer à mon aise en témoigne. René Char parlait de « la marche fourchue des saisons », l’expression est juste, l’été me pourrait être plus propice ; et Mei qui plante à présent ses graines (courges, haricots, concombres) dans notre jardinet a toute mon admiration. Une petite chaise rouge d’enfant l’aide à ne pas se casser les reins. Par la porte-fenêtre fermée, un chat noir tente de se saisir des canaris qui dans la grande cage chantent en chœur avec le « soleil pour témoin. » 

    J* souligne la cupidité de certains qui, s’agissant même de poésie tentent de grapiller tout ce qu’il leur est possible en présence d’aléas profitables, sans états d’âme (je confirme). Le monde se répète, inlassablement, (repensant à la fouille des derniers écrits d'Artaud, quelques instants après sa mort) et vient imprimer sa marque partout où il le peut, foin des idéaux. Qu’y changer au juste ?, sinon tenter de rester, individuellement, toujours fidèle à ses principes, Kant parlait d'"impératif moral". La création se moque des gagne-petit : un nom composé, délibérément invariable. 


    Selon une nouvelle étude, la vie sur Terre serait née à partir de "micro-éclairs" qui ont déclenché la formation de cascades et de vagues océaniques. Lorsque les éclairs frappent des roches, celles-ci produisent ce qu'on appelle des fulgurites, soit des morceaux de silice naturelle solubles qui contiennent du phosphore, indique le média Courrier International. Et c'est précisément ce phosphore qui essentiel à l'éclosion de la vie. Le Feu et l'Eau donc, quelle belle association !

    Il me revient en mémoire cette visite que nous avions faite auprès d'un médecin pour obtenir de lui une déclaration de grossesse, nous attendions alors Gaëlle (ces temps-ci elle ne garde plus un drap sur sa tête pour dormir, ses peurs enfantines se sont enfuies). Première phrase du généraliste : "Est-ce que vous voulez garder l'enfant ?". Mei (qui est athée), en sortant du cabinet, me dit : "Ainsi donc, sans rien savoir de notre histoire, de l'amour que nous nous portons, il nous proposait de tuer l'enfant à venir, d'un coup de stylo sur le papier ?"

    Lecture d’une page inédite, manuscrite, du malheureux Jules Laforgue, mort à 27 ans, qui pouvait citer sans coup férir Musset, Pascal, Sénèque, Schopenhauer, Proudhon… c’est dire ! Les lignes qui suivent, à vocation philosophique, portent le titre « L’infini », ce que j’en extrais au fil de l’eau : 
    « Nous sommes indubitablement immortels, non comme personnes, comme individualités qui ne constituent qu’un mode passager d’apparition (d’objectivation) de la force générale dans l’homme, mais seulement comme parties constituantes de cette force primordiale. La mort ne concerne pas notre existence en elle-même qui ne peut être détruite. Ce qui disparaît en nous ce n’est pas notre substance qui n’a ni commencement ni fin, mais seulement la conscience individuelle qui n’est pas un principe mais seulement la conséquence de la vie organique…  
    Il n’y a pas de mort, et le grand mystère de l’existence consiste dans une métamorphose ininterrompue – tout est immortel et indestructible – le vermisseau, l’arbre, l’homme, l’être. » 
    Dans un registre certes plus moderne d’esprit, Elias Canetti écrivait, en 1964 : « Les poètes, je les ai qualifiés gardiens des métamorphoses… » Une optique qui m’est chère. 

    Dans le grand âge, C* m’écrit en m’offrant deux livres de son cru, en regrettant rétrospectivement, parlant de son œuvre passée, "une forme figée et obsolète, mais j'ai, continue-t-il, toujours tenté de faire chanter cette langue classique sous l'influence de René Guy Cadou..." Au regard de son absolue sincérité, l'un de ses deux ouvrages sera commenté dans une prochaine livraison de Diérèse

    Comment donc essayer d’approcher la somme de ce que l’on ignore de soi-même ? Sûrement en rejetant d’abord les garde-fous fragiles qui délimitent les zones les plus obscures du passé ; puis en reprenant à notre compte, en se les réappropriant, ces bouts de vie que l’on n’a pas vécus jusqu’à leur terme, en passe de se perdre, pour toujours. Ces essais ratés forment en effet une suite infinie dont chaque instant ajoute au fil du temps une autre fibre, la nôtre en particulier. 

    Craignant pour la postérité de ses écrits, L* me demande si j'accepterais d’être son exécuteur testamentaire. Surpris par la démarche, mais quelque peu flatté dans le fond, je lui demande s’il est bien sûr qu’il partira avant moi. Capté j’imagine par l’actuel tissu du monde, déchiré voire déliquescent, mon accord lui est finalement donné... jouer ainsi de la probabilité de son existence comme une partie de dés gagnante. Soyons fous ! 

    Daniel Martinez

  • Pages de mon Journal : du 24 au 29 mars 25

    Alors, le chemin devant lequel je m'engageais semblait flotter dans le feu : un indicible bruissement de l'espace et le grésillement des feuilles arrachées au suspens des nuées.
    - Vieille branche murmura-t-il. Ainsi, on se promène ?, et je restais sans répondre.
    Voix tout juste audible de l'ami qui avait volontairement quitté la vie il y a bien des années de cela. Et c'est en songe qu'il m'apparaissait à cette heure, sur l'écran déployé d'un ciel crépusculaire.
    La nue bientôt convertie en crêtes d'écume violacées, aspirées à mesure, dissoutes dans le Grand Tout. Accompagnant les derniers flamboiements, l'image gagnait en netteté, redessinant les traits d'un visage griffé d'ombres
    , le présent d'un rêve, la figure du plus léger salut. Souveraines tractations dont nous ne percevons que les derniers aboutissements.


    Car les mots collent aux choses, éclairent les choses, sont les choses dans leur vie au-delà des apparences. Des mots quand nous manions des quartiers de monde, quand nous épousons des continents en délire, quand nous forçons de fumantes portes, des mots qui sont des raz-de-marée consentis et des érésipèles et des laves musicales et des feux de joie, des cieux envenimés d'éphippigères, des flèches de lumière décochant le fruit dont l'ignorance même est la saveur.


    Le temps va de l'objet à nous. Et notre pensée a beau l'engloutir sans cesse, l'objet est toujours là à exhaler son invisible fumée, laissant pressentir une suite que l'on imaginerait infinie.


    Val de Fontenay : quand arrivera l'automne, le pommier qui de l'autre côté du ballast, tout contre le grillage qui le sépare de l'autoroute, laissera paraître des pommes si vertes et charnues que l'on regrettera de ne pouvoir en goûter tant la traversée des voies s'annonce dangereuse : le désir et l'objet du désir.
    Ayant assimilé dans son champ visuel ce qui lui fait défaut, le poète jouit alors d'un espace que l'on qualifiera de virtuel, né dans l'intervalle qui appelle en image la substance entrevue, toute distance en voie de personnalisation.
    En mémoire le dernier livre paru du vivant de Jean Grosjean, La Lueur des jours, où sont énumérées avec grâce les diverses qualités de pommes, moins cézanniennes d'esprit que vives en bouche, destinées qu'elles sont à être dégustées.


    Je fais remarquer à P*, qui a tant compté dans la vie de la revue, qu'un livre de lui (est-ce bien le seul ?) est à peu près systématiquement oublié dans sa bibliographie, fruit des éditions "à bruit secret" (sic). Pour me répondre sur ce point : "De toutes façons, il est épuisé et ne sera malheureusement pas réédité", ce que je veux bien croire. Un ouvrage sur l'art brut, où l'auteur, le poète, nous entretient par exemple de la transe qui guidait la main d'Hélène Smith, de par ses diverses hallucinations - et la graphie alors inventée, qui prit le nom de "Néographie". Puis, évoquant Aloïse : "Elle se refuse également au contrôle syntaxique, elle préfère à la construction la juxtaposition. Un même groupe de mots servira de complément et de sujet : "Gurtelrose... ceinture d'Eros... ceinture de roses", la rose est un orbe, les exemples abondent de ces associations que suggèrent les sons, surtout dans les noms propres..."

     

    Ces archives sonores émanant de Blaise Cendrars, en date du 29 février 1952, ont-elles été consignées quelque part. N'ayant pas lu les deux volumes de La Pléiade qui lui ont été consacrés, je me contente de saisir ce que j'ai découvert dans une ancienne revue de littérature (Soutes n°1, octobre 1952)qui n'a compté que deux numéros faute de moyens, parue quelques années après la Seconde Guerre mondiale :
    "Microcosme. Macrocosme. Ce qui est en-haut est analogue à ce qui est en bas. Tout est dans tout.
    La spirale est la liberté de la chute de la vie au centre de l'épanouissement universel."
    Tout cela écrit en capitales d'imprimerie, autour de l'idée selon laquelle le mouvement circulaire est le principe même de l'univers. Propos auxquels Cendrars a donné son imprimatur avant leur publication, à l'évidence.