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Auteurs - Page 23

  • "La Guirlande des années", avec 25 chefs-d'œuvre de la miniature, éditions Flammarion, 15 juillet 1956, 96 pages, 500 exemplaires sur Madagascar

    La première édition de ce livre pas comme les autres date de 1942, il avait alors été demandé à quatre auteurs d'illustrer une saison : pour le Printemps, André Gide ; pour l'Eté, Jules Romains ; pour l'Automne, Colette ; pour l'Hiver enfin, François Mauriac. Les miniatures sont de toute beauté, extraites des Très Riches Heures du Duc de Berry, des Heures d'Anne de Bretagne, des Grandes Heures de Rohan, des Heures à l'usage de Rouen.
    Voici plutôt, sous la plume de Jules Romains :

     


    L'été

     

       Je suis né en été, vers la fin de la canicule. Je me demande s’il ne s’établit pas quelque lien assez intime entre la saison où nous sommes nés et nous-mêmes. Pour ma part, l’été me fut toujours plutôt favorable. J’en éprouve comme un autre les désagréments et les malaises. La violente chaleur ne me fait pas plaisir. Je n’aime pas les temps orageux. Mais c’est en été que j’ai travaillé, que je travaille encore plus, et le plus facilement. Si mon corps tout seul avait à donner son avis, il se plaindrait peut-être autant de l’excès de chaud que de l’excès de froid. Mais le froid, même lorsqu’il ne règne qu’au dehors et que j’en suis séparé par des murs et des vitres, m’insinue volontiers une paresse, un engourdissement, un penchant à la rêverie passive, à la mélancolie somnolente, et c’est alors à la vie sociale que je m’adresse pour me secouer ; tandis que le fort de l’été coïncide pour moi avec une activité de l’esprit lucide et abondante, avec le besoin le plus vif de produire et l’illusion que les moyens m’en sont offerts généreusement. Une bonne partie de ce que j’ai fait est comme moi enfant de la canicule. La chaleur, en même temps qu’elle m’incommode, m’excite. Et sans doute l’air des semaines orageuses est-il parcouru de fluides auxquels la pensée s’abreuve comme à de subtils robinets d’alcool.
       À mes yeux l’été n’a aucune peine, j’ajouterais volontiers aucun mérite, à être la saison "préférable". Il est vrai que je lui taille largement sa part. L’été du calendrier me paraît une convention d’astronomes. Il répond à des considérants d’une simplicité toute théorique, et il ne se préoccupe nullement de coïncider avec l’ensemble d’impressions riches, confuses, chevauchantes et sans commune mesure entre elles, qui se détache de notre expérience d’êtres vivants et d’hommes, pour former notre sentiment de l’été. Il est fâcheux que le langage se soit laissé intimider sur ce point par l’astronomie.
       Qu’est-ce que l’été pour nous autres hommes ? Un certain rendez-vous de chaleur, de lumière, de jours longs, de végétation bien installée, de puissance relativement étale et tranquille, à quoi se joignent pour l’homme des villes le dégoût des lieux clos, l’appétit de la nature et l’idée qu’il a mérité des loisirs. Les participants de ce rendez-vous n’y arrivent que les uns après les autres. Quelques-uns parfois se font longtemps attendre, ou ne font qu’entrer et sortir. Car il y a, hélas ! des étés manqués. Mais les limites du rendez-vous sont assez larges. L’été dans nos climats me paraît être une saison de quatre mois qui commence avec juin pour finir avec septembre.

    * * *

       Maintenant que je laisse agir en moi ce nom de l’été, une espèce de vrille lumineuse s’enfonce dans mon passé, et je vois luire, instant par instant, des choses qu’en creusant ses spires elle atteint et découvre. Mais, avant de rien reconnaître, je retrouve à toutes les profondeurs la même impression de vie tendue, le contraire du recroquevillement, une façon qu’a ma personne d’affluer à ses propres frontières. Ma tête multiplie ses idées et les pousse le plus près possible des objets. Une fine musique bourdonnante m’habite, me rassure entièrement sur moi-même, sur mon droit à exister. (Et peut-être ne suis-je encore qu’un enfant.) Des bruits résonnent autour de moi comme à l’intérieur d’un monde plein. Ce sont les bruits d’une rue où le soleil s’encaisse entre les façades ; peut-être le roulement d’une voiture d’autrefois, et des pas de chevaux. Il y a une voix de l’été dans les villes qui n’a pas changé à travers les temps, qui est hardie, un peu dure, un peu rauque. Il y a le contact de l’air, qui n’a plus besoin d’être piquant ni remuant pour se faire sentir ; il y a l’odeur de la rue, qui est celle d’un récipient desséché, aux parois de pierre et de bitume. Et, s’il pleut ou qu’on arrose, la mouillure elle-même prend une odeur un peu cuite. 
       Je ne sais pas pourquoi c’est un tournant de l’ancienne rue Bolivar dont l’image me revient en manière de refrain, comme s’il recélait une signification d’été toute spéciale. Je n’y ai pourtant pas vécu ; je n’y suis pas passé plus souvent qu’ailleurs, et il n’était remarquable en rien. Je le revois large et à peu près vide ; non pas torride ni éblouissant ; blêmi seulement par la lumière, occupé sans presque une ombre par un soleil parisien où du gris reste dissous. Mais, si l’on cherche des yeux un peu au-delà, on verra sans doute des ombres de marronniers. Elles ne sont pas très épaisses ; elles n’ont pas de fortes découpures ; elles sont faites pour festonner le trottoir d’un léger ornement d’été. Et qu’y a-t-il en effet qui vous parle mieux de l’été, qui vous donne plus secrètement la résolution d’en jouir (les plus longs jours s’éloignent si vite) qu’un trottoir en pente douce où le soleil et l’ombre des marronniers s’entrelacent devant votre marche ? L’on verrait aussi peut-être, ramassées, des terrasses de petits débits de vin, quatre tables bien collées contre la devanture et protégées par deux paravents de fer et deux caisses garnies de buis. Mais peut-être le sentiment que c’était ici l’été mieux qu’ailleurs venait-il de ces buttes et de ces tertres de gazon que l’on avait, sans les voir, à quelque distance derrière soi, au-delà d’une falaise de maisons incurvées. (L’eau du papillon d’arrosage sur le gazon et les ailes du papillon sont plus grandes que la queue d’un paon.)

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  • "Novalis", traduit par Pierre Garnier, éd. André Silvaire, 20 juin 1964, 160 pages, 16,50 F

    "De santé fragile depuis sa naissance, en mai 1772, Novalis côtoie la maladie, la sienne ou celle de ses proches, depuis toujours. Il allait se marier avec Julie von Charpentier lorsque sa phtisie s'intensifie. Il meurt l'année suivante, en mars 1801, suite à un épanchement de sang consécutif à sa phtisie. Il a 28 ans et laisse derrière lui une œuvre extraordinaire par sa créativité, son élévation spirituelle et la beauté de son expression. L’œuvre, polyphonique, marque par sa profondeur, tant au regard de la théorie de la littérature qu'à celui de l'histoire des sciences ou au niveau de l'élaboration d'une philosophie transcendantale renouvelée après Kant, puisque Novalis marque de son empreinte chacun de ces domaines."

    Quelques-unes de ses pensées sur :

     

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  • "Dans cette obscurité", de Nicolas Cendo, 104 pages, avril 1985, 40 F

    Poète de son état, s'il commence à publier son tout premier recueil de poésie en 1981, avec Marges (Lettres de Casse), Nicolas Cendo s'est aussi intéressé de très près au monde de l'art et des artistes en tant que conservateur du Musée Cantini à Marseille (1983 à 2008) avec par exemple  Louis Soutter (Actes Sud, 1987)

    NICOLAS CENDO.jpg

    ou Antonin Artaud, œuvres sur papier (Musées de Marseille, 1995)...
    Il verra deux de ses recueils de poésie édités par Flammarion, le premier qui nous intéresse aujourd'hui ayant pour titre Dans cette obscurité. Nicolas Cendo a été essentiellement publié chez Tarabuste où ont paru ses sept derniers livres, avec tout récemment : Au souffle près (
    4 mars 2022).
    Christian Garcin parle de Nicolas Cendo en ces termes : C'"est un homme discret, et un auteur rare. Les contrées qu’il fréquente sont très éloignées des lumières coupantes et crues du battage médiatique : ses paysages se meuvent plutôt dans une pénombre discrète, comme l’indiquent les titres de ses précédents ouvrages... Cela va sans dire, il s’agit d’une écriture sans effets de manches, clins d’œil audacieux, ou références amusées. Elle joue sur très peu, s’attache à saisir des instants enfuis sitôt nommés, des ombres mouvantes et changeantes, des bruissements de palmiers, la fraîcheur qui s’attarde autour des rideaux, des voix d’enfants, un parfum d’herbes - comme une ténacité à saisir l’insaisissable, qui la situerait, cette écriture si tendue, aux lisières incertaines plus qu’au cœur des clairières, toujours en équilibre instable, et proche de ces « limites où tout peut basculer »."

    Quelques pages extraites de Dans cette obscurité, un titre qui, me semble-t-il, colle à l'actualité internationale (et pas seulement) la plus immédiate, au regard  de cet obscurantisme forcené au sens fort du terme qui occupe le devant de la scène. Pardonnez cette digression, vraiment trop tentante pour y résister. S'il faut bien, toutes affaires cessantes, redonner ses lettres de noblesse à la poésie, là où retrouver une chaleur naturelle, puissante, qui est le trésor de la vie, riche en esprits vitaux :

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