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Loránd Gáspár fut un médecin, poète, historien, photographe et traducteur français d'origine hongroise, né en 1925 à Marosvásárhely en Transylvanie orientale (actuellement Tîrgu-Mureș en Roumanie). Etudes secondaires dans cette même ville. Admis à l'Ecole Polytechnique de Budapest en 1943, il est mobilisé quelques mois plus tard. En octobre 1944, après l'échec de la tentative de paix séparée, suivie d'une occupation allemande et de la mise en place d'un gouvernement nazi en Hongrie, il est déporté dans un camp de travail en Souabe-Franconie. Loránd Gáspár s'en évade en mars 1945 et se présente à une unité française près de Pfullendorf. Réfugié en France, il est naturalisé en 1950 et poursuit des études de médecine à Paris. Par la suite, il deviendra d'abord chirurgien des hôpitaux français de Jérusalem et de Bethléem. A partir de 1970, il est chirurgien à l'hôpital Charles-Nicolle de Tunis, ce jusqu'en 1995. En 1998, il reçoit le Prix Goncourt de la poésie pour l'ensemble de son œuvre. Loránd Gáspár s'est éteint à Paris en octobre 2019. Sa Correspondance avec Georges Perros (1966-1978), d'une précieuse liberté de ton, a été publiée par La Part Commune en mai 2001. Par ailleurs, une étude consacrée à ce poète devrait paraître dans une toute prochaine livraison de Diérèse.
Pour illustrer l'écriture concise autant que lumineuse de Loránd Gáspár, un texte : "Genèse", écrit dans la lignée deCorps corrosifs(éd. Fata Morgana, 1978) :
GENÈSE
1.
À l’eau sombre qui là-bas recueille le vert ferment d’une aube sur terre - à l’eau qui va riant dans les pierres dissiper la ferveur des images - à la goutte d’eau claire dans mon œil mémoire d’une aveugle fraîcheur quand l’âme vérifie le désert -
À ce qui me dit indivis et fluide chant levé dans l’essor du chant essaim de lueurs que rien n’interrompt mots et gestes brefs tissés dans l’ouvert -
Sur la rive rêche et endolorie fruits tombés que décompose la mer lambeaux de brume, pansements jetés.
2.
Clairière d’esprit dans le corps du matin brûlé distraitement par les feux de midi -
ainsi la chapelle chaulée frais des îles et la craie fluide d’un dieu qui dessine
la route incalculable d’un goéland tout le blanc entre les mots que gardait ta voix
et les fruits, ô les fruits que tant de déserts, de nudité promettaient au marcheur
comme ils se replient doucement dans l’ombre ! comme leurs pigments étincellent dans la gorge !
3.
L’ampleur des pistes aux marches de l’espace distances et promesses ont tenu dans un dé
d’une soif de parler les miettes tendrement mêlées à l’herbe rare en Judée au printemps -
Pourtant ce regard - Le petit jour dénudé de ses feuilles l’être-ici cinglant des choses touchées cailloux de la voix dans l’eau d’une source -
4.
Hésiter, trembler, frêles images du temps. Le dur noyau de peser, de pourrir et ce bruit de source sans origine d’un coup d’aile déplié dans l’esprit du vent !
la hâte que nous avions d’entendre dans nos voix la muette origine de parole -
nous reste à présent l’humble labeur d’épeler ce qui de plus simple s’échange dans nos vies -
5.
Que d’effervescence dans les broussailles ! Comme la poussée des sèves est simple qui dans les boucles emmêlées délivre le tracé des doigts d’une mélodie -
Et c’est déjà la porosité du soir au flanc dénudé des pierres à genoux
dans l’odeur qui traîna longtemps sur une herbe sèche, les cailloux
paroles d’un jour près du jasmin, des mots vieux, oubliés, frileux
qui neigent doucement sur le monde, dans le jaillir sans nom de l’étendue
la force tranquille d’être là des choses la respiration d’à peine une couleur
quand tu avances dans la poussière de tant de visages innominés.
6.
Ici, quelqu’un des jours, des années écouta le bruissement de ses doigts mêlés à la paille d’un mur de torchis - quelqu’un d’assis gluant encore de sa nuit, dans la pourpre de l’Archange à la table d’Abraham - un matin d’hiver dans sa robe plissée la pudeur alluma ses lampes dans les pores - un flocon d’évidence est percé à blanc dans le visage qui voit tout à coup -
7.
Quelqu’un avance dans la poudre d’icônes dans la farine jaunie des baisers du monde et ses jambes sont ivres d’un vin lucide que sa fatigue a tiré des ronces et des craies.
Un couteau a brillé au jardin de nageoires âme sans écailles jetée sur les pierres son odeur d’herbes fraîchement coupées - mais encore et encore le ressac broie
le duvet des ailes dans les cailloux nous parle à bout de souffle de malheur et la voix à jamais étonnée perfuse l’épaisseur de sa trame décousue.
8.
Ce qui se tait d’un silence infini dans l’ajustement un jour des syllabes -
la barque au large écoute ses racines où bat le sang d’une nuit sans visage
puis une fois encore c’est matin le frôlement d’une aile sur les eaux -
9.
Comme un jardin plein de tâtonnements. De fruit en fruit, de soleil en soleil la marche enflait. Où se brisait la vague le dessin mis à nu enseignait le désir d’aller à la sève des corps et des pensées. Franchir océans et déserts comme si le silence d’être ici savait se savait porteur bref de clarté indivise -
10.
tant de rumeur de ton corps que tu n’as pas su dire tant de pensées qui furent sans mots
lueurs d’abîme et cet autre silence dans la rugueuse lumière au matin
et quand tombe le soir, cet autre jour des fonds qui fermente aux flancs nus des montagnes désertes
parle-nous clarté vêtue de mille images, ombres profondes, claviers de nos âmes, que ta voix brille au cœur même du néant, que l’écho sans fond tourne nos visages lavés de la peur vers plus d’acquiescement -