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Diérèse et Les Deux-Siciles - Page 38

  • Des nouvelles. Focus sur "Vu, vécu, approuvé." de Jean-François Mathé, éd. Le Silence qui roule, septembre 2019, 12€

    Bonjour à toutes et à tous,

    Je me dois de vous donner des nouvelles de la future livraison de Diérèse, soit son quatre-vingt neuvième numéro. Elle comptera 314 pages, je n'ai pas pu aller plus loin (car les coûts de port, au poids (ici moins de 500 g.), deviennent prohibitifs, ils augmentent encore au 1er janvier, au rythme de l'inflation !). Sachez qu'en 2023, envoyer un exemplaire en Californie me revenait à 2,68 € alors que la même opération, d'un arrondissement (ou d'un département) à l'autre me voyait débourser 5,36 €, soit le double très exactement. Ce tarif privilégié consenti pour favoriser la diffusion de la langue française à l'étranger est finalement maintenu par la poste, en légère augmentation, là tout à fait acceptable... Sur le sujet, je vous invite à relire Pascal Commère in Diérèse opus 88, page 167, sachant que les tarifs postaux par tranche de poids ont (déjà) bien augmenté depuis ce qu'il a pu consigner là :

     "À l’agence postale, ce matin, je tente de faire entendre à l’employée sa mine de gros poupon rieur qu’envoyant des livres, ce pour quoi je suis là présentement, je souhaiterais ne pas devoir régler un affranchissement d’un montant excédant le prix du livre. Elle dit oui. Je lui explique alors qu’il existait, naguère, un tarif Livre, lequel a par la suite été supprimé. Les livres voyagent désormais en classe Affaires, j’ironise. Elle dit oui. Oui oui. Puis, se penchant vers l’unique armoire qui meuble le coin qu’elle occupe dans la pièce réservée au secrétariat de mairie, elle tire une sorte de gabarit en carton. Voyez, dit-elle, au-dessus de trois centimètres d’épaisseur c’est plus le tarif Lettre qui s’applique. Et comme si je ne comprenais pas, elle ajoute : 4,50 € au lieu de 4,20 €. J’acquiesce. Ne manquant pas toutefois de remarquer qu’ayant il y a peu mis à la boîte de semblables envois estampillés d’un timbre à 4,20 €, ils ont été pareillement distribués. Elle dit oui. Décidément cette jeune femme est bien aimable, et c’est vrai qu’elle sourit en permanence, acceptant chacune de mes remarques. J’en profite tout de même pour lui signaler, quoiqu’elle n’y soit pour rien bien sûr, qu’avec de tels tarifs prohibitifs on ne pourra bientôt plus faire de services de presse. Et je lui explique en quoi cela consiste. Mais peut-être le sait-elle déjà ? Elle dit oui.
    "

    La multiplication des "revues" en ligne confirme le phénomène, que vivent au quotidien les revues papier (je ne parle pas des "zines") du moins celles qui décident de tenir bon la rampe. J'en suis. Dans le temps on me demandait si je n'étais pas banquier, à quoi je répondais que j'étais très loin de l'être. Celles et ceux qui me connaissent directement savent ce qu'il en est.
    Ceci dit, la poésie mérite bien quelques sacrifices, n'est-ce pas ?... J'ai effectué une seule fois une demande de subventions, refusée illico car je n'atteignais pas (comme toujours d'ailleurs) les 300 abonnés ; tiens, je m'autoriserai à vous scanner un de ces jours la réponse d'un obscur fonctionnaire du CNL (ita est). Est-ce qu'il me fallait baisser les bras pour autant ? Ce fut l'inverse, ayant de longue date été du côté de la résistance ; il en faut de l'énergie face à la dévalorisation de la chose écrite au profit du numérique, l''écran venant à déclasser le livre, la lecture aussi bien - et je ne parle pas que de poésie...

    Dans ce numéro 89, revenons-y, il y aura notamment quatre hommages rendus à : Jean-François Mathé, Michel Cosem, Gérard Duchêne (plasticien-poète) et Daniel Giraud, qui a lui mis fin à ses jours le 6 octobre 2023.
    De Jean-François Mathé, qui nous a quittés en novembre (il a participé à Diérèse), je retiens ces poèmes de son cru, extraits d'un recueil paru en septembre 2019 : Vu, vécu, approuvé. (éditions Le Silence qui roule, maison que dirige courageusement Marie Alloy). Un titre qui me fait penser, ceci dit en passant, à un recueil d'Henri Thomas : Compté, pesé, divisé, paru chez Plon en 1989, il s'agissait là de pages choisies de son Journal.
    Vous pourrez lire aussi, dans ce n°89, des pages inédites du Journal de Pierre Bergounioux, que vous connaissez de plus près à présent... En sus, 22 poètes se partagent les deux "Cahiers", j'en resterai là.
    Voici pour mémoire quelques poèmes extraits du livre de Jean-François Mathé dont je vous ai parlé,
    Vu, vécu, approuvé. :

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  • Journal espace (propos épars)

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    C'est sur ce petit carnet que j'ai tenu mon journal, alors que je voyageais en Inde, pas comme un touriste ordinaire j'entends, désireux plutôt d'approcher Le Grand Théâtre du Monde (Calderón), en acteur plutôt qu'en spectateur. Je m'en suis confié dans Diérèse et n'y reviendrai pas. Pourtant ce n'est pas l'envie qui m'en manque (disons un autre jour). Tiens, une image, au passage : juste avant de regagner l'Hexagone, je m'étais risqué aux portes du désert du Thar, dans l'Etat du Rajasthan (le fameux Mârusthali), y avais logé dans une sorte de hutte aménagée où j'avais dû déloger une blatte de la taille d'un gros lézard, écrasée avec un masque balinais qui fut l'un des rares souvenirs ramenés d'Inde. Il y avait là, bétonné par l'habitant, une sorte de piscine à ciel ouvert qui s'offrait à ma vue. Il faisait si chaud que je n'ai pu résister longtemps et donc, après m'être mis en tenue, j'ai plongé : jamais eau ne me parut plus chaude, en piscine s'entend...

    Vous n'êtes pas sans savoir que Diérèse a publié des inédits de Guillevic (son prénom toujours exclu de ses nombreuses publications) dans son numéro 37, en l'été 2007, trois poèmes surgis à leur surgissement - et qui n'avaient pas été retenus dans Relier - poèmes 1933-1996, livre édité par Gallimard ladite année : septième du nouveau millénaire dont on souhaite qu'il ne soit le dernier dans l'histoire de l'humanité (l'espoir faisant vivre).
    Temps passé, toujours présent à l'esprit ce qu'écrivait Guillevic dans son Art poétique (Gallimard, 1989) : des vers d'une simplicité désarmante et pourtant si justes dans leur visée (proprement poétique) :

              "Il y a de l'utopie
              Dans le brin d'herbe

              Et sans cela
              Il ne pousserait pas

              Il y a de l'utopie
              Dans l'azur

              Et même
              Dans un ciel gris.

              Toi, sans utopie
              Tu n'écrirais pas

              Puisqu'en écrivant,
              Ce que tu cherches

              C'est mieux connaître
              Où te mène ton utopie."

    Dans une autre optique - où la poésie apparaîtra comme un "imaginaire trophée" - me revient l'une des Divagations de Mallarmé qui a pour titre "Le nénuphar blanc", et qui nous interroge sur le faire œuvre de la poésie, en termes de privation cette fois. Mallarmé, à la faveur d'une narration (car c'en est une, fable prise dans un récit d'événement), nous dit ceci :
         se privant de jouir d'une apparition possiblement "réelle", désirée, celle d'une femme au bord vert du fleuve, le narrateur la fait ne pas apparaître, ou quasi apparaître-disparaître, pour la plus grande chance de changer une prose relatante en prosème, entendez en une parabole de ce que peut faire "la poésie". Le descriptif d'une mésaventure et manœuvre de rameur se laisse transcrire en l'une des définitions de l'opération poésie, en art poétique - une vision ici allégorique. Mallarmé conclut ainsi ce conte :
         "Si, attirée par un sentiment d'insolite, elle a paru, la Méditative ou la Hautaine, la Farouche, la Gaie, tant pis pour cette indicible mine que j'ignore à jamais ! car j'accomplis selon les règles la manœuvre : me dégageai, virai et je contournais déjà une ondulation du ruisseau, emportant comme un noble œuf de cygne, tel que n'en jaillira le vol, mon imaginaire trophée, qui ne se gonfle d'autre chose sinon de la vacance exquise de soi qu'aime, l'été, à poursuivre dans les allées de son parc, toute dame, arrêtée parfois et longtemps, comme au bord d'une source à franchir ou de quelque pièce d'eau.
    "

    Je terminerai ces quelques réflexions en vous souhaitant à toutes et à tous d'heureuses fêtes de fin d'année.
    Amitiés partagées, Daniel Martinez

  • "Les herbes vertes s'étendent jusqu'à l'horizon" Anthologie de la poésie chinoise (1912-1949) aux éditions Les Deux-Siciles

    Guomei Chen, "Les herbes vertes s'étendent jusqu'à l'horizon : Anthologie de la poésie chinoise (1912-1949)" aux éditions Les Deux-Siciles c/o Daniel Martinez, 8 avenue Hoche, 77330 Ozoir-la-Ferrière, 196 pages, 25 € port compris.

    Dans la peinture de paysage de la dynastie des Song du Nord (960 - 1127) - mais pas seulement - un (ou quelques-uns) personnage minuscule, juste esquissé, apparaît bien souvent au premier plan. Non point écrasé par la majesté des monts, le grondement des eaux... figurant à l'arrière-plan, mais comme saisi, avalé par tout un univers.
    Il est l'âme de cet univers. Univers qui le pénètre et qui l'habite.
    Cet être mortel, presque inexistant, existe cependant, participant de ce "grand tout". Il est œil des nuages, mais aussi brin d'herbe ou nœud de bambou.
    Par le silence d'un regard, ne fait-il pas exister ce paysage ? "À sa façon, il tend à n'être rien pour devenir tout"(1). Univers même qui le rend à la vie. Toute distance abolie entre sujet et monde - c'est-à-dire faire un avec la nature entière.

    Pareille à la peinture - la calligraphie et la musique - la poésie en Chine, depuis tantôt trente siècles, entretient d'étroites relations avec l'homme et l'univers.

    Elle a également eu pour fonction, l'éducation et l'édification du lecteur dans le cadre d'une démarche et d'un état d'esprit confucéens ; surtout sous la dynastie Han (206 av. JC - 220 ap. JC).
    Ainsi l'écrit par le pouvoir des signes, a-t-il pris au cours du temps, une telle importance - grâce en partie, à l'éclosion de grands poètes - que furent créés sous la dynastie Tang (618 - 907), des concours de poésie pour le recrutement de fonctionnaires.

    Poésie classique articulée autour de deux genres principaux : "le poème réglementé (shi) embrassant deux formes dominantes, le quatrain (jueju) et le huitain (lüshi)", d'une part ; "le poème chanté (ci), écrit sur une mélodie préexistante", d'autre part (2). Laquelle, commandée par des règles prosodiques complexes et très strictes mais également très codifiées (symboles récurrents...), a évolué au fil des siècles jusqu'à connaître une forme de sclérose.

    Ce n'est que lors de ce vingtième siècle, entre la fin de la dynastie Qing (1616-1912) et l'arrivée au pouvoir de Mao Zedong en 1949 instaurant la République populaire de Chine, que se libère la parole conduisant à une ouverture sur le monde et plus particulièrement sur le monde occidental.
    Cette courte période (1912-1949) dite République de Chine, représentée par Sun Yat-sen, a cependant connu de multiples événements et bouleversements.
    C'est de celle-ci que traite la traductrice Guomei Chen dans son livre "Les herbes vertes s'étendent jusqu'à l'horizon", à travers dix poètes, dont trois poétesses. Chacune et chacun ayant droit à une présentation en rapport avec le temps et l'espace (contextes historique, social et géopolitique), suivie d'un choix de textes en version bilingue.
    Ainsi découvre-t-on une nouvelle poésie - dite "moderne" et/ou "libre" - plus proche "d'une langue parlée" - se substituant à la langue écrite dès 1920, sous l'impulsion de l'écrivain Hu Shi (1891-1962) - et traitant du réel le plus immédiat, impliquant ou suggérant vécu et/ou impressions de son auteur. L'une n'excluant point l'autre, on peut goûter pareillement une pratique continue de cette poésie dite classique en plein renouveau.

    Poésie peignant la vie de gens simples : "Il martèle de haut en bas, / et le fer sur l'enclume, / brillant d'une couleur de sang, / éclaire la sueur sur son front, / comme son ample torse nu." p.51, "Le Forgeron", Liu Bannong. Ou encore : "Dans la rue ..." / j'ai aperçu un charpentier très âgé./ ... / A le voir manipuler sa lourde hache, / il semblait à bout de forces. p.167, Mu Dan.

    Poésie exprimant la mélancolie : "... Elles bruisseront encore, / quand bien même ce serait de désespoir, / quand bien même ce serait leur dernier mot." p.57, "Feuilles mortes", Liu Bannong. Ou encore pleurant une amie disparue : "... c'est un bouquet de camélias rouges que je dépose au pied de ta tombe, / je t'attends, la nuit n'en finit pas, / alors que tu es là allongée, à l'écoute des murmures des vagues."p.129, "Devant la tombe de Xiao Hong", Dai Wangshu.

    Poésie déclamatoire, pleurant un amour perdu : "Je n'attends pas d'avoir partagé ta vie, même pour peu de temps, / et ne te demande même pas de m'aimer. / J'espère pouvoir te croiser dans mes plus belles années !" p.72, Xu Zhimo.

    Mais aussi lyrisme de cette poésie qu'elle soit ou non déclamatoire, énonciatrice ou évocatrice ... dans son rapport à la nature. Comment ne pas être conquis par les figures et images qu'elle génère : "L'ombre du pont ne veut pas que le soleil couchant se retire" p.43, "Nan Lou Ling", Lü Bicheng ; "sur l'eau flotte le lotus blanc de tes rêves." "Tu es un jour d'avril du monde" Lin Huiyin ; ou encore "comment savoir quand l'origine a pris forme en ces lieux ?" p.177, Poème 5, Mu Dan.

    Fruit d'un temps vécu ou d'un temps rêvé, cette écriture ancrée dans le réel, peut remonter aux sources de la création et en dévoiler une part de mystère. Pour cela, le poète doit entrer en communion avec la nature, se fondre en elle. Il participe ainsi au rythme de l'univers.

    Guomei Chen, dans son travail de traduction, a gardé à l'esprit le rôle joué par la nature, mais aussi veillé à restituer, autant que faire ce peut, la musique des mots sans altérer le sens des textes.
    Elle nous a surtout fait découvrir des voix d'une Chine aujourd'hui disparue. Voix à la recherche de nouvelles formes d'expression sans pour cela abandonner cet imaginaire constituant l'identité chinoise ; l'être profond.

    "L'asservissement des arts" à une ligne politique édictée peu après l'avènement du Président Mao, conduira à l'étouffement - peu ou prou - de diverses formes de création.
    Cependant, en poésie comme en peinture, l'être-au-monde dit et dira le monde aussi longtemps que les herbes vertes s'étend(ront) jusqu'à l'horizon.

    Paul Cabanel

     

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    (1) "L'homme authentique de Zhuangzi ne cherche rien pour profiter de tout. À sa façon, il tend à n'être rien pour devenir tout."
    (2) Pour entrer dans le vif du sujet, se reporter à l'avant-propos de l'ouvrage de Guomei Chen.