Journal - Page 27
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C'est sur l'île de Djerba que ma famille et moi sommes arrivés, en décembre 1960, au titre de la coopération culturelle. Nous n'étions pas motorisés, la traversée du pays, la Tunisie, eut lieu en train depuis Tunis, la capitale - où nous étions partis de Marseille par bateau -, jusqu'à Gabès, oasis et port maritime. Puis nous empruntâmes le bac à Djorf, dans le golfe de Gabès, qui devait nous conduire au port d'Adjim, au sud-ouest de l'île. Après accostage, les vingt-et-un derniers kilomètres furent effectués en bus, pour regagner Houmt-Souk, capitale administrative de "l'île aux sables d'or".
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Journal du 3 mai, premier acte
Le "je" est-il haïssable ?, une posture littéraire de plus... Devrait-on écrire son journal à la deuxième personne (du singulier) pour faire bonne figure ? Demandez-le à Pierre Bergounioux, par exemple. Il suffit.
Au lever, Gaëlle me demande de lui faire frire "trois œufs de rat-poulet". Un peu surpris, mais elle me montre du doigt un duvet grisâtre, un autre encore, restés collés sur les coquilles. Ses œufs, elle les aime juste saisis, que je les retourne ensuite comme une crêpe pour qu'au centre apparaissent des soleils, jaune d'or, par lesquels Gaëlle commence à petit-déjeuner. A peine salés, le blanc légèrement baveux.
Malgré ces conjonctivites à répétition que j'ai traînées tout ce mois d'avril, je m'échigne à retrouver dans les reproductions de ce catalogue sur la table posé le bonheur de peindre qu'avait Nicolas de Staël, avant de commettre l'irréparable. Par-dessus mon épaule, celle qui a inspiré les vingt-six lettres dédiées du "Temps des yeux" lit, au bas de la photo : "On ne peint jamais ce que l'on voit ou croit voir, on peint, à mille vibrations, le coup reçu." et me demande qu'est-ce donc que ce "coup" dont il est question, serait-il violent ? - En quelque sorte oui, mais pas de la nature de cette violence dont les hommes au long des siècles se sont montrés si friands. Non, un choc intérieur plutôt, suivi d'une métamorphose ; vraiment, le beau nous bouleverse, crois-moi. (Même si, pensais-je, la critique a toujours du mal avec cette notion). - C'est comme l'amour ? - Oui, tout à fait, on ne peut créer qu'en aimant, pas seulement ce que l'on fait d'ailleurs, mais ce que l'on a projeté de faire, ses ricochets.
Diane chante déjà : "Pomme, pêche, poire, abricot..." et me réclame de la mangue, celle achetée l'avant-veille, bien mûre à présent, qui nous vient du Pérou. "Dis-moi, daddy, pourquoi ce matin le soleil a-t-il mangé la lune ?" - Mais il faut bien que le jour se fasse ! avec la lumière qui te fait vivre. - Et la nuit, c'est pour les loups ? - Pas seulement, tu as besoin de dormir aussi, c'est alors au tour de la lune d'avoir mangé le soleil et ainsi de suite depuis la nuit des temps. Diane veut ensuite, une fois le fruit épluché et soigneusement découpé dans une coupelle en porcelaine chinoise, que je lui dessine pendant qu'elle mange "une baleine rose et le caneton qui est dans la salle de bain" ; je gouache l'ensemble à l'estime après l'avoir vaguement croqué au crayon mine. Heureuse et quelque peu déçue, au final, son expression le dit.
Soit : Desiderium signifiant à la fois "désir" et "regret", on comprend que l'on regrette ce que l'on a désiré comme on désire ce que l'on a regretté. Rebondissons : le désir, chez les surréalistes, ne pas oublier de lui mettre la majuscule. Preuve s'il en était besoin de cette double face du réel, jamais fixé dans l'esprit, en devenir. Parenthèse : un commissaire d'exposition prétendait que Paul Delvaux était surréaliste, qu'avait-il compris du mouvement, je me le demande. J'essayais en vain de lui expliquer que l'onirisme des toiles du belge n'était pas un élément suffisant, mais sans succès. Nous nous sommes perdus de vue, sans regret.
Nos deux filles en congés scolaires, bien réveillées, me demandent à présent de les accompagner au lac de Lognes, pour donner à manger aux cygnes - alors que ma femme, courageuse, travaille (à vil prix). Je ne puis que m'exécuter, bel après-midi en perspective... -
"Il y a dans l'air, ce matin, l'odeur inimaginable des roses du Paradis." Jorge Luis Borges
De prisa
« Le beau tient dans un cercle… »
Esther Tellermann
Comme les voltes et tourments
de la fuyante pesanteur
flamme liquide elle est
dédicace aux moires de la langue
palais de glace où dérive
l’écho d’un rire fièvre vive
dans le dedans là où
panache de l’iris
rayonnent loin des rimes
des bateaux sans âge
l’or gris à la rive fait mirage
ravive dans ce fragment d’espace
les froides dentelles des amandiers blancs.
Venez senteurs, moiteurs jusqu’au centre
spires & sèves à la périphérie
éclair silencieux veines courant sur les sables
bruissantes aux rouges fontaines,
tissus de vie sur la travée de pierre.
Du noir-vert à la cire la plus translucide
l’univers des choses
est l’instant du présent qui nous manque.
Sous le chiffre des pas une lampe d’éveil
l’âme lisse du bronze
coulée dans le bleu de la bouche
et que dire de plus
au soir du lendemain ?
Les premiers oiseaux du crépuscule.
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