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Auteurs - Page 3

  • "Une femme" de Anne Delbée, éditions Presses de la Renaissance, mai 1984, 504 pages, 85 F

    Il s'agit là d'un livre important, publié aux Presses de la Renaissance, fort bien documenté, l'éditeur a eu l'heureuse idée de donner audience à une auteure qui connaît parfaitement l'univers de Claudel, j'entends non seulement celui de son frère pléiadisé dont on ne saurait trop dire qu'il a pour le mieux accompagné la descente aux enfers de sa sœur aînée, mais celui de Camille, née le 8 décembre 1864, elle avait pour amant Auguste Rodin et pour compagnon Debussy. Trente ans de création, trente ans d'asile : Camille rend l'âme le 19 octobre 1943, à l'asile de Montdevergues. Son descriptif : 1 600 malades environ, situé en pleine campagne, à 5 kilomètres d'Avignon et 1 kilomètre et demi du village le plus proche, Montfavet, gros de quelques centaines d'habitants.
    On peut se rendre à Avignon en allant prendre à Montfavet le chemin de fer de la ligne Miramas-Cavaillon (six trains par jour, onze minutes de trajet) ou en utilisant une patache inconfortable et malodorante, qui, toutes les deux heures, joint les gémissements de ses essieux à ceux de ses infortunés voyageurs. La bicyclette, quand le mistral en permet l'emploi, peut rendre les plus grands services. Les routes sont planes, bien entretenues et ombragées à souhait.

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  • "La guirlande des années", André Gide, Jules Romains, Colette, François Mauriac, éditions Flammarion, 94 pages, 15/7/1956, imprimé à 500 exemplaires

    Un beau livre sur papier Madagascar, qui voit reproduites 25 miniatures des XIVe et XVe siècle. Un ouvrage collectif, dont les quatre auteurs pressentis illustrent, chacun à sa manière, le rythme des saisons, depuis le Printemps, avec André Gide, jusqu'à l'hiver, avec François Mauriac.
    En ces temps plutôt frisquets, je vous propose un extrait d'"Eté", par Jules Romains, un romancier dont je vous ai déjà parlé le 17 juillet passé dans le présent blog, reportez-vous à la rubrique "Auteurs". A l'heure où la sonde Parker Solar Probe, lancée en 2018, va frôler ce jour même la couronne solaire à 700 000 km/h, sous une température de plus de 1400 degrés, avouez que cela a de quoi nous réchauffer le cœur !
    De mon côté, je viens de terminer la maquette de Diérèse opus 92 et, une fois n'est pas coutume, je vous en communiquerai la couverture, en avant-première : le numéro sortira des presses de l'imprimeur le 25 janvier, à suivre donc. Elle totalise 328 pages, comme les deux précédentes livraisons.

    Vous souhaiter, à toutes et à tous, en ce 24 décembre, d'heureuses fêtes !

    Voici donc, [maintenant que nous voilà entrés dans la phase où les jours vont commencer à rallonger
    (à quand l'heure d'été applicable toute l'année durant ?)] :

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  • "Entretiens avec Eugène Ionesco", de Claude Bonnefoy, éditions Pierre Belfond, 224 pages, 10 mars 1966, 9,25 F.

    Qui est Claude Bonnefoy ?, mort en 1999, à tout juste cinquante ans : Claude Bonnefoy fut un critique littéraire. Il a collaboré à plusieurs revues, a animé des collections littéraires et écrit de nombreux ouvrages.
    Il est en khâgne à Louis-Le-Grand lorsqu'il obtient le prix Paul Valéry de poésie en 1948. Après quelques années dans l'enseignement, il se consacre au journalisme, d'abord à Arts, puis à La Quinzaine littéraire dont sera membre du comité de rédaction durant plusieurs années et enfin aux Nouvelles littéraires. Il a également crée ou animé des collections : L'Univers des livres aux Presses de la Renaissance, Entretiens chez Belfond ou Les Inoubliables chez Garnier.

    Quant à Eugène Ionesco ?, il a préféré à l'occasion de la sortie de ce livre, signifier à son éditeur que "en vous résumant ma vie, j'aurais peur de me tromper tandis que les dictionnaires me prêtent une histoire objective que je ne puis que respecter." C'est donc un extrait du Dictionnaire Universel des Lettres (éditions Laurent-Bompiani, 1961) où il est ainsi présenté :
    Eugène Ionesco (né en Roumanie, 26/11/1912) passa son enfance en France et y fit une partie de ses études. Rentré en Roumanie, il devint professeur de français au lycée de Bucarest (1936), puis décida de venir préparer son doctorat ès Lettres en Sorbonne. En 1938, il renonce à préparer sa thèse et s'établit en France. Il s'imposa très rapidement au théâtre.

    Voici pour vous un extrait de ses fameux Entretiens :

     

    Claude Bonnefoy 
    Comment travaillez-vous ? Avez-vous besoin d’un horaire? d’un cadre précis, de stimulations extérieures ? 

    Eugène Ionesco 
    C’est très variable. Je n’ai pas de règle, pas de méthode. J’ai des caprices, c’est-à-dire que tantôt j’écris, tantôt je dicte. Il y a des périodes où je retrouve un certain calme, alors, à ces moments-là je travaille tous les matins de neuf heures à midi, de neuf heures à une heure. Écrire, en somme, ce n’est pas du travail… Je considère qu’il est bien malheureux d’exister. Je considère qu’il serait encore plus malheureux de ne pas être. Mais parmi les gens qui existent, je suis l’un des plus chanceux. Je suis plus favorisé que les rois puisque les rois eux-mêmes travaillent, alors que moi je puis aller où je veux, quand je le veux, avec un cahier et un crayon ; je ne dois pas signer de feuille de présence (j’en ai signé autrefois, et je sais ce que c’est !). J’ai donc l’impression que je suis un enfant boudeur, que j’ai mauvais caractère, que ce n’est pas gentil de ma part de vivre ainsi mécontent. Alors qu’il y a des gens qui se font la guerre, que l’on se tue, que d’autres meurent de faim, que d’autres travaillent pour vivre, moi je vis. Pourtant on peut dire que je ne travaille pas et on peut dire que je travaille. Les deux choses sont vraies l’une et l’autre. Je ne travaille pas puisque je peux, en apparence, faire tout ce que je veux et en même temps je suis esclave des mots, de l’écriture et écrire est vraiment une chose pénible. En fait, si j’écris, c’est grâce au sentiment de culpabilité, parce que je suis porté à ne pas écrire, à ne pas soulever de fardeau, à ne pas travailler enfin. Il me faut des mois d’accumulation pour pouvoir travailler un mois. Ces longs mois d’accumulation, qu’est-ce que c’est ? C’est l’envie de travailler, la tristesse de ne pas travailler, la peur de rater ma vie comme si en écrivant on ne la ratait pas, la pensée que des gens sont en train de mourir de faim ou de se faire massacrer pendant que moi je me balade à Montparnasse. Enfin tous ces remords font une sorte d’accumulation d’énergie et au bout de plusieurs mois je réussis à avoir suffisamment d’énergie pour un mois. Il faut que je finisse la pièce en un mois ou deux parce que si cela dure plus, c’et fini, la fin de la pièce peut être ratée parce qu’il n’y aura plus d’énergie en moi. 

    C.B. 
    À ce moment-là, vous travaillez combien d’heures par jour ? 

    E.I. 
    Une heure, une heure et quart, une heure et demie, deux heures par jour. Quelquefois je travaille même durant quatre heures, mais cela n’est pas du vrai travail, parce que le reste du temps je fais de la correspondance. 

    C.B. 
    Et durant les autres heures de la journée, que faites-vous ? 

    E.I. 
    Je me repose. 

    C.B. 
    Vous pensez à votre pièce ou non ? 

    E.I. 
    Oui, j’y pense. Puis je me repose, je fais des mots croisés parce que les mots croisés permettent de penser à tout autre chose… ou de ne pas penser du tout. 

    C.B. 
    L’écriture de la pièce vous libère-t-elle de cette culpabilité que vous ressentez pendant vos périodes d’accumulation ? 

    E.I. 
    La notion de culpabilité ne peut pas s’éteindre avec la création. Quand j’écris, je me sens encore coupable, car je fais quelque chose de finalement très vaniteux et inutile à quinze cents millions d’humains. 

    C.B. 
    Certains de vos personnages, je pense par exemple à Choubert dans Victimes du Devoir, à Amédée, ou même à Jean dans La Soif et la Faim n’héritent-ils pas de ce sentiment de culpabilité ? 

    E.I. 
    Ce n’est pas de la même culpabilité qu’il s’agit. 

    C.B. 
    Une pièce comme Rhinocéros n’implique-t-elle pas une extension de la notion de culpabilité à la notion de culpabilité collective ? 

    E.I.
    La collectivité ne se sent pas coupable. La foule qui se déchaîne, qui lynche ne se sent pas coupable. L’individu seul réfléchit, peut ou non se sentir coupable. 

    C.B. 
    Je vous ai demandé tout à l’heure si le fait d’écrire vous libérait de votre sentiment de culpabilité. Vous m’avez répondu : "Non, c’est lorsque j’écris que je me sens le plus coupable." Mais écrivez-vous sans ce sentiment de culpabilité ? 

    E.I. 
    On parle trop de la culpabilité. Peut-être que tout ce que nous venons de dire à ce sujet est aux trois quarts faux. Je suis moi aussi victime des idées reçues. Disons plutôt que j’écris par angoisse ; par nostalgie … une nostalgie qui ne connaît plus son objet ; ou qui, se fixant sur un objet, se rend compte que sa cause est ailleurs. Mais où ? 
    Pour ce qui est de la culpabilité, pourquoi en avoir ? On peut avoir de la pitié, regretter de ne pas pouvoir sauver l’humanité… mais je n’ai pas fait du tort au monde. Que les geôliers, les justiciers, les tyrans, les violents, les cyniques, les sourds, se sentent eux d’abord coupables… pour moi, je verrai après. »

     
                                                                                                           

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