Diérèse et Les Deux-Siciles - Page 19
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Il s'agit là d'un livre important, publié aux Presses de la Renaissance, fort bien documenté, l'éditeur a eu l'heureuse idée de donner audience à une auteure qui connaît parfaitement l'univers de Claudel, j'entends non seulement celui de son frère pléiadisé dont on ne saurait trop dire qu'il a pour le mieux accompagné la descente aux enfers de sa sœur aînée, mais celui de Camille, née le 8 décembre 1864, elle avait pour amant Auguste Rodin et pour compagnon Debussy. Trente ans de création, trente ans d'asile : Camille rend l'âme le 19 octobre 1943, à l'asile de Montdevergues. Son descriptif : 1 600 malades environ, situé en pleine campagne, à 5 kilomètres d'Avignon et 1 kilomètre et demi du village le plus proche, Montfavet, gros de quelques centaines d'habitants.
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"Rideau ouvert", un poème de Daniel Martinez
L'astre a blêmit, clair de lune engourdi dans le blanc et noir des anciennes photographies. Un peu comme ces vœux en attente à remodeler à l'infini, traces de craie sur le tableau noir. Là, tu te revois, crédule à la façon de qui s'accrocherait aux branches basses de l'acacia à deux pas de la fenêtre restée ouverte. Faites vos jeux, rien ne va plus : les années belles, tu en agites seulement les effiloches, ainsi va.
Voici, pour marquer la nouvelle année 20 et vingt additionné de cinq unités ce poème écrit sans façon, où le Temps serait l'enfant royal dont nous entretient Héraclite :à Jean-Yves Cadoret
Densité du mouvement que percent
les gouttes de pluie où la spirale
du feu rouge descend dansante
entre les chardons là décapités
il flotte dans l'air une épaisse
vapeur d'eau bientôt l'heure zéro
qui marquera le passage à l'an neuf
bientôt ce premier quart de siècle échu
montrera quel fut son vrai visage
au rythme des pas qui s'éloignent
tu regardes les battants de fenêtres
restées ouvertes malgré le froid
Ici c'est la campagne les bouleaux
de la forêt voisine comme taillés
dans la pierre méditent à l'envi
le Grand-Morin s'affaire reflété
dans ton souffle fondant
comme de la neige froide dans la bouche
il était bien temps que le hasard
trace son sillon pour signifier ce qui
de guerre lasse nous sera rendu
à la toute fin des temps1er janvier 25
Daniel Martinez
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Daniel Abel nous a quittés...
Vendredi 28 décembre de l'an 24, Daniel Abel a tiré sa révérence, il allait sur sa quatre-vingt douzième année. Le dernier des surréalistes du groupe originel, réunis non sans quelques accrocs mémorables autour de la figure tutélaire d'André Breton. C'est en 1958 qu'il se décide, accompagné de Denise son épouse, à sonner au 42 rue Fontaine, à Paris, tout près de la place Blanche. Il écrit alors : « Nous ouvrions de grands yeux devant les tableaux de Crépin ou Lesage, Dali ou Chirico, devant les livres sur les étagères, les objets merveilleux : miroir de sorcière, pierre rare... et cette foule, dans l'autre pièce, de masques, de totems venus d'Océanie, des civilisations dites "primitives"...»
Cet émerveillement fut une constante dans la vie de Daniel, partisan d'un temps dédoublé, où la beauté (celle du désir désirant se conjuguant aux pas que l'on fait dans les allées du Hasard, porté par un chant intérieur). Lors de cette première rencontre, il se risque à demander à André Breton : "Et y a-t-il toujours des réunions de café ?",
- Bien sûr, chaque soir, vous pouvez y venir mais ne serez-vous pas déçus ?"
Il s'agissait bien sûr du café la Promenade de Vénus, à l'angle de la rue du Louvre. Denise et Daniel, habitant alors en province ne s'y rendront que le samedi, vers 18 heures, cinq années durant. Là, Breton arrivait accompagné d'Elisa, descendant d'un bus le plus souvent. Daniel ajoute, parlant du maître d'œuvre : "Il avait sa place, au centre, face à un grand miroir, ainsi il regardait venir. Nous étions une quinzaine, une vingtaine ? Jean Benoît et Mimi Parent, Huguette et Jean Schuster, qui écrivait : "L'analogie est universelle, mais rien ne ressemble à rien.", Joyce Mansour, l'Egyptienne... les dames. Avec une élégance de seigneur André Breton pratiquait le baise-main."
Diérèse a reproduit une lettre manuscrite inédite que l'auteur du Manifeste du surréalisme lui a adressée grâce aux bons soins de Bruno Sourdin lorsqu'il a interviewé le destinataire, sur deux numéros consécutifs. L'entretien le plus abouti qu'ait jamais donné Daniel Abel.
Me concernant, nous nous sommes retrouvés (avant de nous rencontrer) dans le sommaire du numéro 10 des Cahiers du Schibboleth (juin 1988), une revue qu'animaient Francis Giraudet et Bérénice Constans, côté illustrations. Une publication bien dans l'esprit du surréalisme, sans cloisonnement abusif, très ouverte à la création, avec un côté artisanal voulu. Daniel y parlait, dans cette livraison, du "Jardin des modes", évoquant sa cousine, transplantée dans le décor qui devait être celui du petit pavillon que Denise et lui avaient acquis à Héricy, en Seine-et-Marne, avec ces totems qu'il avait élevés dans le fond du jardin : "La fenêtre de la cuisine dominait les différents étages du jardin, embrassait sa perspective..." C'est en ce lieu magique, là-même, qu'il a rendu l'âme il y a peu.
Il conviendrait que je parle ici encore de la librairie (une ancienne boucherie parisienne) : Le Pont traversé que tenait l'écrivain-libraire - à l'angle de la rue de Vaugirard et de la rue Madame, des années 50 à 1993 -, Marcel Béalu, collectionneur de Michaux, notamment ; une librairie où Mitterrand venait faire ses emplettes, pour y dénicher des raretés (les rues avoisinantes étaient alors bouclées). Denise et Daniel connaissaient bien le couple Béalu ; lui, qui grimpait à la mezzanine par une petite échelle intérieure pour se retirer lorsque l'inspiration lui venait, laissait son épouse œuvrer dans ce lieu de culture, véritable capharnaüm. Des personnages haut en couleur... J'en parle plus longuement dans le n° 69/70 de Coup de soleil (juin 2007) auquel participait aussi Daniel Abel, dans un dossier consacré à l'auteur des Mémoires de l'ombre. Marcel Béalu évoque ainsi les écrits de son ami Daniel : "l'enchantement nocturne de ses écrits et cet acharnement à ne pas sombrer avant l'orée première, celle où se lève enfin le jour vrai sur les prairies immaculées." Mais Daniel Abel fut un homme d'une grande modestie et plutôt gêné quand il se voyait encensé. Sa vie ne fut pas de tout repos, loin de là ; et depuis la mort de son épouse Denise, isolé, des tracas de tous ordres s'enchaînaient sans relâche, le laissant quelque peu désemparé face à l'adversité...J'ai choisi de vous donner un extrait aujourd'hui d'une plaquette du poète parue fin 1997, intitulée Sur la rive, en la rivière, une édition des amis de Hors Jeu, sise à Epinal. Cet ouvrage, tiré à bien peu d'exemplaires, compte 20 pages et se vendait alors au prix de 20 F.