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Journal - Page 18

  • "La villa Mauricette" - épisode 1 -

    Cette villa, que nous louions à des Italiens en terre tunisienne ne portait pas de numéro cadastral, il suffisait au facteur de lire "Mauricette" pour savoir derechef à qui remettre le courrier qui nous venait de France, celui de la proche famille d'abord mais aussi tant d'albums et de journaux de bande dessinée qu'enfant il me fallait laisser en première lecture à mon géniteur avant que de pouvoir m'y plonger. La rue, elle, portait bien le nom du 25 juillet 1957, je ne savais à l'époque qu'il s'agissait du jour de la proclamation de la république en ces terres, de la fin de la monarchie beylicale et de 250 années de règne d'anciens gouverneurs de l'empire ottoman. Et la ville n'était autre que Sousse, une cité côtière à quelque cent quarante kilomètres de la capitale, sise à l'extrême nord du pays, où je devais plus tard entrer au lycée jusqu'en classe de première, sur la butte de Mutuelleville.

    ... C'étaient de ces années d'adolescence - de l'automne 1969 à l'été 73 - où s'affirme le caractère, où l'orientation future d'une vie se dessine. Mon premier livre fut un roman de Marc Twain, Les Aventures de Tom Sawyer, aurait-il été le premier ouvrage de littérature
    de l'histoire saisi à la machine à écrire, comme l'affirmait son auteur ? Toujours est-il que sa dimension onirique ne m'avait pas échappé, mais aussi l'anticonformisme foncier du héros, orphelin intrépide qu'il était, porté par son désir d'être le plus libre possible, se jouant des conventions comme des conséquences de ses menus larcins. Ma vie à l'inverse était plutôt réglée, sans grande originalité, tiraillée qu'elle était par deux pôles de pouvoir, paternel et maternel ; la littérature peu à peu devait me sauver de leur emprise, toujours plus pesante à mesure que je prenais de l'âge, que mes traits s'affirmaient. Les Misérables fut ma deuxième lecture d'importance, un livre que je n'ai jamais osé relire, de peur de déflorer l'impression première, cet émerveillement qui s'était emparé de ma personne alors que j'en déchiffrais les pages une à une, allongé sur mon petit lit au matelas de mousse posté contre le mur occidental de la chambre où la relative pénombre me permettait de m'isoler par la pensée, autant que faire se pouvait. J'ignorais tout ou à peu près de la vie de l'auteur, mais il m'importait peu, ses écrits témoignaient d'un esprit peu commun, alors que parallèlement je découvrais Balzac avec le plus grand ennui, ses descriptions qui n'en finissaient pas et que j'appris ainsi à lire entre les lignes... alors que la prose de Victor Hugo m'enchantait, particulièrement ladite "Tempête sous un crâne" pour sa dimension éthique : à mon sens, elle devint des années durant une pierre de touche morale incontournable...


    Daniel Martinez

    * * * 


    Contrairement aux autres notes de ce blog, il n'y a pas ici de suite immédiate à découvrir en cliquant sur le cartouche dédié. Mais je reprendrai le cours de mon histoire en épisodes successifs, entrecoupés par une anthologie de fortune qui prend corps à mesure, déclinée pour le mieux au regard du peu de temps dont je dispose pour m'y consacrer. DM

  • Quête des origines, quête de soi

    C'est sur l'île de Djerba que ma famille et moi sommes arrivés, en décembre 1960, au titre de la coopération culturelle. Nous n'étions pas motorisés, la traversée du pays, la Tunisie, eut lieu en train depuis Tunis, la capitale - où nous étions partis de Marseille par bateau -, jusqu'à Gabès, oasis et port maritime. Puis nous empruntâmes le bac à Djorf, dans le golfe de Gabès, qui devait nous conduire au port d'Adjim, au sud-ouest de l'île. Après accostage, les vingt-et-un derniers kilomètres furent effectués en bus, pour regagner Houmt-Souk, capitale administrative de "l'île aux sables d'or".
    C'est bien là que j'ai grandi, dans ce cadre un peu particulier qui n'a pas été sans me donner plus tard un regard distancié sur le monde occidental, ses us et coutumes, ses priorités, ses fantaisies... L'école primaire s'appelait la "mission française", vous la verrez de plus près dans la suite de la note, avec au centre de la photographie cette porte de fer d'un bleu cielleux qui nous séparait de la cour des grands, cour où chaque semaine nous devions nettoyer nos encriers de porcelaine (j'avais eu le temps, au hasard des jours, d'y plonger quelques petits morceaux de craie, ou bien d'y noyer une mouche ou deux, attrapées au vol puis piquées sur le bout de ma plume Sergent Major, prélevée d'une boîte aux couleurs glacées de la bataille de Jemmapes).
    A l'ouest de l'île, la plage de pêcheurs dénommée "Sidi Jmour" qui avait nos faveurs, au sol spongieux, que fuyait la population touristique. Nous achetions à la levée des filets des poissons vivants encore pour une somme symbolique. Mes parents n'ont pas été payés par l'Education nationale pendant les six premiers mois de notre séjour (nous sommes restés là jusqu'en août 1969), et vivions à crédit chez tous les commerçants, qui nous faisaient confiance. 
    A notre arrivée, au tout début de l'aventure, il n'y avait pas d'électricité dans l'appartement que nous habitions à Houmt-Souk (ou "quartier du souk"), nous nous éclairions donc avec des lampes à huile métalliques dont la mèche grésillait délicieusement. L'électricité est arrivée l'année qui suivit. Cette pauvreté nous allait bien. Nous logions près de "l'olivier d'Ulysse", arbre que l'on disait millénaire, dans une maison qui comptait un étage et présentait la particularité d'avoir un rez-de-chaussée composé d'une seule pièce dotée d'un escalier sombre à souhait, en colimaçon, qui nous menait dans nos appartements si je puis dire, au premier et unique étage, tout carrelé. Nous dormions sur des matelas posés à même le sol. Au-dessous, côté rue, tonnaient les mobylettes à réparer d'un artisan qui se mettait au travail à huit heures, précisément. Mes premiers mots : "le goudoum" et "la motré" (le tambour et la moto, dont j'avais plutôt peur, premières frayeurs enfantines). Seule la rue centrale était goudronnée et la terre qui semblait de sable gardait peu ou prou trace de nos pas selon que nous marchions en sandales ou en chaussures. Les voitures étaient surtout des véhicules de louage, taxis qui se mettaient en route quand le quota de passagers était atteint ; on voyait plutôt ici ou là circuler des charrettes pour les charges lourdes ou encombrantes, avec de petites lanternes suspendues à l'arrière qui scintillaient de nuit, des motos pas bien silencieuses ou de robustes vélos qui pouvaient aussi servir aux petits commerces, comme à transporter sur l'épaule ces fameuses bouteilles de butane qui pesaient treize bons kilos - à rapporter après usage pour la consigne chez le fournisseur. Les bouteilles elles-mêmes étaient consignées, les bières portaient des bouchons mécaniques à capsule de caoutchouc ; sauf pour l'eau, le plastique était bien rare.

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