Pourquoi écrivez-vous ?, cette fois au sein de l'Hexagone (1ère partie)
Christian Bobin : Ne me demandez pas pourquoi écrire mais pour qui, et là je saurai vous répondre : pour vous et pour moi, pour un "vous" et un "moi" à venir, non encore apparus en ce monde où il n'y a personne.
Patrick Grainville : J'écris parce que j'ai peur. C'est l'angoisse le ressort, le moteur. J'écris pour combler un vide, un fossé entre moi - le dehors - et le monde. Il me faut le reconquérir, l'apprivoiser, le revêtir de mes mots, de mes images, pour qu'à ma ressemblance enfin, il cesse de m'exclure. - J'écris pour bâtir un monde à l'image de mon désir. Pour m'embarquer dans l'Arche. Pour habiter mon nom.
Pierre Notte : Parce que l'écriture est une forme dégénérée de l'ennui plus sûre et mieux dissimulée que la télévision.
Parce qu'il n'y a pas, quoi qu'on en dise, que des bêtises à la télévision, et qu'il faut bien passer le reste du temps. Parce que tout a été dit, mais pas comme je voulais.
Parce qu'il y a des silences moins avoués.
Et puis parce que je voudrais bien être quelqu'un, même décemment, comme ça, pour voir, parmi ceux qui existent.
Claude Simon : J'écris pour écrire.
Philippe Sollers : Parce que c'est moi.
Olivier Targowla : J'écris pour rassembler ce qui est épars en moi. Peut-être aussi pour me donner une apparente cohérence.
Antoine Volodine : Cela certainement quelqu'un l'aura déclaré déjà, mais écrivant je ne cherche pas à me faire original.
J'écris contre le dégoût de ne pas savoir, j'écris pour tourner la loi du silence qui doit suivre, j'écris pour connaître avant terme la saveur du mot fin.
François Weyergans : Ayant eu de longues conversations avec beaucoup de romanciers et quelques poètes, je ne leur ai jamais demandé : "Pourquoi écrivez-vous ?" Ni eux à moi. On aurait éclaté de rire, me semble-t-il - à moins d'être directeurs de revues ? C'est que la réponse à votre question devrait plutôt se chercher, à mon avis, dans les livres publiés par ceux à qui vous la posez. Si réponse il y a, on la trouve pendant la lecture de ces livres. C'est en tout cas mon expérience avec les livres que je relis. C'est évidemment un autre travail que la petite enquête à laquelle vous me demandez de prendre part. Mais je suis curieux de voir les réponses des autres ! Et puis votre question arrive au moment où je suis en train d'essayer de finir mon prochain livre. Est-ce qu'on demande au trapéziste qui s'apprête à sauter pourquoi il est là-haut ?
Philippe Soupault : Parce que cela m'amuse.
Françoise Sagan : Parce que j'adore ça.
Michel Leiris : Aujourd'hui, j'écris pour substituer à mon angoisse majeure une angoisse moindre : celle de l'artisan inquiet de faire au mieux.
Alain-Fabre Catalan : Écrire de la poésie, c'est tenter de faire du souci poétique l'expérience dominante de la vie. Au fil du temps, l’écriture est devenue pour moi le témoignage de cette présence immédiate qui perdure dans la pensée du poème et vient enflammer le tissu des mots au plus près de la voix. Cette attention portée aux mots constitue, jour après jour, la mémoire du poème, véritable anamnèse qui se nourrit de la présence des choses et de leurs traces invisibles, ces souvenirs d'une autre langue que la poésie ne cesse de traduire. Ainsi le besoin de la poésie et la question de sa traduction n’ont-ils jamais cessé de m’accompagner.
Jean-Paul Bota : Je me suis souvent posé cette question sans pouvoir de manière évidente m’apporter une réponse.
J’écris, je pense, par besoin, par plaisir, pour exorciser ma peur et essayer d’avoir un rapport plus apaisé avec le monde, et pour partager mon expérience.
Jean-Christophe Ribeyre : J'écris pour être de ce monde qui m'échappe et me fuit. Non pas pour le fixer, le saisir à pleines mains, mais pour qu'il pénètre mieux en moi. Qu'il me chante, m'accorde à lui.
Philippe Mathy : J’écris pour tenter de percevoir la part d’invisible qui m’habite et celle qui est présente dans les êtres et les paysages qui m’entourent. J’écris pour tenter d’éclaircir la voix qui surgit dans les mots que j’assemble, car cette voix n’est pas seulement mienne… Ce ne sont que des approches. Impossible de donner une réponse complète, achevée, ce pourquoi peut-être on continue d’écrire.
Daniel Martinez : J’écris d'une traite, en ne me relisant pas le plus souvent, précisons : dans un premier temps, en "séquentielles", "buissonnières", "Journal", au jour le jour, pour fouiller dans ma mémoire ; in fine, et dans un flash-back permanent, tenter d’y mettre un peu d’ordre. Au rebours de la vie sociale, écrire est devenir soi-même, quête d'authenticité. C'est aussi entrer de son plein gré dans une zone de turbulences.
Prochain invité, Theodore Wilson Harris, poète, romancier, essayiste guyanien