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Un poète, critique, essayiste d'une absolue discrétion, publié inDiérèse58 (pages 179 à 181), il y a juste dix ans, livraison d'automne-hiver 2012. Pierre Chappuis, né en 1930, s'est éteint le 22 décembre 2020, dans la ville où il avait élu domicile et où il a longtemps enseigné, à Neuchâtel.
Auteur de vingt-neuf livres, dont douze aux éditions José Corti, La nuit moins profonde est "son dernier ouvrage. Ce livre, il le met en miroir de son tout premier recueil, Ma femme ô mon tombeau(1969, éditions Robert), dédié, comme le sera le livre ultime, à celle qui fut dès leur jeunesse son amour unique" (ainsi que le note Jean-Pierre Burgart). En est extrait "Le don du poème", que vous pourrez lire ci-après. Pour mémoire, les éditions José Corti l'ont accueilli dans sa soixantième année, en 1990, avec Moins que glaise ; à ces mêmes éditions figurent aussi des ensembles de notes et de réflexions (dont La rumeur de toutes choses, 2007), et des lectures critiques (Tracés d'incertitude, 2003) ; deux essais : Michel Leiris/André du Bouchet, en 2003. Le dernier recueil de poèmes paru aux éditions José Corti - ouvrage posthume lui aussi :En bref, paysage -est sorti quelques mois à peine avant La nuit moins profonde.
Le don du poème
L'offrande de la coupe, fresque étrusque Tarquinia, Tombe du baron
La coupe est entre eux, à bout de bras, comme un vœu. En elle, dans l'obscurité millénaire de la tombe (à l'extérieur, l'été triomphe sur le plateau que le vent de la mer ne visite pas), en elle, fraîcheur et source à ce point que, dirait-on, d'un filet d'eau tombé (telle, notre ardeur) jaillit aussitôt, une et multiple, une fleur improbable (le mur, l'aridité, l'ocre jaune), une fleur gigogne comme s'engendrant, comme s'élevant au-dessus d'elle-même, elle aussi intermédiaire, signe de retour, d'alliance, de renouement : verdure, eau, paradis (et tout ne tient-il pas lieu de parole ?). Le talon levé d'un même mouvement, d'un même élan de tendresse vers l'épouse et la mère, geste à jamais répété, toujours et depuis toujours à accomplir, les deux personnages sur la gauche s'avancent, le plus grand, qui offre la coupe, serrant contre lui - son don aussi est essentiel - le jeune musicien jouant de la flûte. Mais (dehors, dans la stupeur de midi, le lente consumation du désir) n'est-ce pas une disparue, une étrangère qui les accueille à bras ouverts ou qui se porte à leur rencontre ? Sous le manteau d'ocre rouge, l'ombre la vêt, à laquelle le visage lui-même est voué. Rappelée, ne rentrerait-elle qu'imparfaitement dans la lumière ? (Tels notre manque, notre aveuglement dans la soudaine obscurité de la page où inscrire notre salut.) A moins que, prisonnière de la nuit, elle n'y attire ceux que ne saurait délivrer leur offrande. Joie ou fatal attachement, douceur et passion dans la chambre souterraine sont à revivre (un instant, avant de retrouver le plein jour, l'herbe jaunie recouvrant tout, effaçant la trace des récentes moissons et, telles les piqûres de la soif, les mille et mille coquelicots) : oubli, sourire indevinable d'une reconnaissance figurée sur la paroi lumineuse et nue (tout ne tient-il pas lieu de paradis ?) pour franchir le Vide.