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"Lettre à Fernand Dumont" de Paul Colinet (avec un dessin de F. Dumond), éditions Les Marées de la nuit, coll. Le bâton rompu, 15 juin 1988, 8 pages, 220 exemplaires numérotés

La courte existence de Fernand Dumont fut une pure expérience surréaliste. Né à Mons en 1906, la lecture du Manifeste a sur lui une importance décisive, comme la rencontre avec André Breton deux ans après. De son vivant, ne paraissent que les poésies d’À ciel ouvert (éditions des Cahiers Rupture, La Louvière, 1937), les contes de La Région du cœur (éditions du Groupe surréaliste en Hainaut, Mons, 1939) et Le Traité des Fées (Ça ira, Anvers, 1942).
Dans une lettre à Achille Chavée, datée du 13 juillet 1939, il dit vouloir adjoindre aux deux premiers ouvrages une étude, La dialectique du hasard au service du désir, à laquelle il travaille depuis l’année précédente et qui pourrait clore le "cycle subjectif". Il en achève l’écriture en avril 1924. Le 15 du même mois, il est arrêté à Mons par la police allemande. Il écrit alors le cycle de poèmes La Liberté (éditions de Haute Nuit, Mons, 1948) et son livre-testament, L’Étoile du berger (Labor, Bruxelles, 1955). Il meurt autour du 15 mars 1945 dans le camp de Bergen-Belsen, où est morte la même année Anne Frank, un mois avant la libération de celui-ci par les troupes britanniques.
Dialectique du hasard au service du désir, préfacé par Louis Scutenaire, avec un portrait par Max Servais, est le titre de l'anthologie qui lui est consacrée - Brassa éditeur, Bruxelles, 1979 (292 pages).

Sa correspondance avec Paul Colinet (1898-1957), surréaliste belge lui aussi, n'est que très rarement mentionnée. Ce sont les éditions Les Marées de la nuit qui, les premières, en ont fait état. La lettre que vous pourrez lire ci-après a été écrite par Paul Colinet le 7 avril 1942, soit huit jours avant l'arrestation de Fernand Dumont au tribunal de Mons.

 

 

 

Bien cher ami,


Ta bonne lettre m'a fait grand plaisir. C'est la première et la seule que j'aie reçue depuis la parution de mon livre. (1)
Tu es trop élogieux à mon égard. Mais pourquoi es-tu si injuste au sujet de ton merveilleux traité ? (2)
Je possède ton livre depuis 15 jours. Neuhuys m'en avait donné un exemplaire. Il y a 15 jours que je circule parmi les décombres de cette capitale de la douleur, tenant dans mes mains ravies ton petit bouquet de rosée. L'effet est partout souverain : des yeux brillent et font briller les découvertes, des cœurs se réveillent, des mains se retrouvent, des poitrines commencent à frémir, des oreilles se font attentives, des lèvres touchent leur secret, des jambes se délient, des êtres, aux talons naguère englués, se mettent à marcher sur la pointe des pieds, des fenêtres s'ouvrent toutes seules sur un monde matinal de pureté et de fraîcheur, où les objets, visibles à l’œil nu, fascinants, s'éclairent de couleurs natives.
Oui, il y a 15 jours que je lis partout, à haute voix, avec une diction d'ingénuité et d'émerveillement, dans un air de fête, de cloches, de prodiges, de flambées sonnaillantes et d'apparitions cristallines, les petits chapitres magiques du traité, en proclamant que c'est un bienfait, un talisman et une jouvence.
Toutes mes félicitations, toute mon admiration et tous nos remerciements, poète lucide et translucide, enchanteur de haute précision, homme intact et clair qui vient à notre rencontre, dans l'étui précieux de son costume, avec sa canne à pommeau de lune, son œil au point de mire et la juste balance de sa bouche, qui vient à notre rencontre et qui trinque avec nous, dans le diamant du jour, d'un petit mot de lumière d'aube : Bonjour !
Je suis enchanté, c'est le cas de le dire, de posséder, en double, ce petit bréviaire de pure poésie. C'est beaucoup mieux, infiniment mieux qu'un livre : une rose qui regarde le fond de ses abîmes, un arbre aux écoutes du plus proche et du plus lointain, un étalon-or du possible, un cabaret de clochettes, un roucoulement de fer blanc, un baiser de clé étoilé, une musique de pierreries, une menuiserie de la nacre, une calèche d'arc-en-ciel, un jeu de grâces dans le parc de Nevermore, une flûte d'argent pour gilet meaulnien, une armoire à confitures de beau temps, ... et surtout, et, plus simplement, et plus exactement, une baguette magique ! Cela, c'est certain : efficacité contrôlée. (Et je n'oublie pas l'humour salvateur, ni que c'est aussi ce traité, ce traité des fées, un moyen très ingénieux de faire circuler, toutes nues, nos quatre vérités.)

*

Je t'envoie, par même courrier, l'ex. des Histoires destiné au poëte de la "Dictée". (3)

*

N'oublie pas de m'avertir quand ma voisine, - la couventine bolkanique, la dame de paravent -, (4) aura reçu ton manuscrit. A ce moment précis, je franchirai la distance incalculable qui me sépare d'elle depuis toujours et je la prendrai dans l'espace de nos paroles. (et réciproquement)

*

Au cours de la chasse aux souscriptions, cet hiver, j'ai eu le plaisir de placer 25 ex. du traité.

*

A suivre, mon très cher poëte. A suivre, avec du soleil et d'autres étoiles de première grandeur.
              Bien affectueusement tien,
                        Paul Colinet
                               7 avril 1942

_____________

(1) Paul Colinet, Les histoires de la Lampe. Anvers, Ça ira, 1942.
(2) Fernand Dumont, Traité des fées. Anvers, Ça ira, 1942. 
(3) Achille Chavée, "Dictée", poème in Le cendrier de chair. La Louvière, éditions des Cahiers Rupture, 1936.
(4) "La Couventine Bolkanique, comme je l'écris quelque part c'est moi. Colinet en fixant ses yeux noirs sur moi - (assise et lui debout) - élabora ce surnom en me dévisageant longuement et en prenant tout son temps, il insista sur le o de bolkanique. Voulut-il ainsi fondre deux mots en un ? Balkanique et volcanique ? C'est possible. J'habitais au 21 avenue Wolvendael, ... la villa voisine portant le N° 23 habitée par Colinet, mon plus proche voisin donc. En parlant de "Distance incalculable" qui nous séparait, il fait œuvre de "poète". A moins qu'il ne fasse allusion à une certaine retenue dans nos rapports ? Il était beau, chauve, distingué, et me rappelait un peu Bela Lugosi, le terrifiant vampire des films des années 30 !" Christine de Bruycker, lettre à Xavier Canonne, Vence, 26 février 1987.

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