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Georges Duhamel : "Travail, ô mon seul repos !", édition Wesmael-Charlier, 204 pages, 9 janvier 1959

C'est Georges Duhamel qui écrivait dans le Journal de Salavin (Mercure de France, 1993) : "Si les hommes pouvaient s'améliorer, ce serait une grande tristesse de songer qu'ils ne le font pas. Mais, de songer qu'ils n'y peuvent rien, cela, du moins, enseigne une indulgence infinie." Cette clairvoyance m'a toujours étonné, pour ne pas dire "séduit", par ce constat d'impuissance qu'elle révèle face à l'histoire de l'humanité que d'aucuns considèrent tout bien pesé comme affligeante dans ses aboutissements. Rejet du fanatisme donc et intégrité foncière dans ce qu'il considérait comme un devoir de l'écrivain face à un monde en déroute.
Ce livre est l'un des derniers que publia Georges Duhamel, j'ai entre les mains l'exemplaire qu'il a envoyé à son compagnon de route, Jules Romains qui, lui, appelait de ses vœux ses contemporains à faire du chaos où les hommes s'entrechoquent depuis bien longtemps un cosmos puissant et harmonieux. Ses Hommes de bonne volonté sont-ils encore lus aujourd'hui, hormis par quelques fidèles, il est permis d'en douter.
On comprendra mieux ainsi la portée symbolique de cet envoi, daté de février 1959 et dédicacé :
          "A Madame et à Jules Romains, avec le fidèle message de leur vieil ami
           G Duhamel"

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Dans son vingt-quatrième et dernier chapitre (avant les Pages Choisies), Georges Duhamel parle directement de lui-même en faisant la part belle aux confidences, celles d'un profond humaniste. Il convient de préciser que la collection du livre qui nous intéresse était ainsi intitulée : "Les auteurs juges de leurs œuvres", ainsi que Georges Duhamel le souligne in fine. Dans les lignes qui suivent, plus que cela, il s'agit de la vie même de l'écrivain, donnée en miroir :

"... J'ai parlé de mon caractère, et je ne me refuse pas à faire des aveux. J'aime la précision et j'accepte d'être considéré comme un maniaque. Je doute, en ce sens, et des autres et de moi-même. Je retourne deux ou trois fois sur mes pas pour m'assurer que l'on a bien fermé les robinets et les portes. Je ne veux être complice ni du vent, ni du hasard.
Je n'étais certes pas frileux dans mon jeune temps. Je suis devenu terriblement frileux en 1917 - janvier, février - après avoir passé ces deux mois, en Champagne pouilleuse, par 25 et 27 degrés au-dessous de zéro. Je ne pourrai jamais oublier le regard de mes blessés.
Je ne suis pas superstitieux et j'ai composé mon roman La Nuit d'Orage, pour me guérir de mes dernières superstitions. Mais j'ai peur des épingles. Une seule épingle dans une chambre et elle finira par me piquer. C'est à cela que je dois d'avoir ajouté des traits à Suzanne Pasquier, "la charmeuse d'épingles"*.
Comme beaucoup de gens qui ont pratiqué la chirurgie, "l'art de la main" selon l'expression de Valéry, je me lave les mains cinquante fois par jour et je serais fort malheureux si je ne pouvais le faire. 
L'amitié a tenu dans ma vie et dans mon cœur une place considérable. Mon éditeur anglais a refusé de faire traduire Deux hommes, par crainte de voir ce livre considéré comme un ouvrage dédié à l'homosexualité... Quelle erreur ! Et quelle peur inconcevable ! Il existe mille romans sur l'amour contre un seul sur l'amitié. Et encore !
Je n'aime pas la vie mondaine. Je ne vais jamais ou presque jamais dans ce qu'on appelle les coquetails. Je francise le mot exprès, sans toutefois l'accepter dans mes coutumes personnelles.
Je n'ai jamais eu lieu de plaider en justice, et je fais des vœux pour que je puisse ainsi parler jusqu'à ma mort.
Je ne prends jamais ce qu'il est convenu d'appeler des "vacances". Mon vrai repos consiste à changer de travail. Quand je pense qu'un homme bien portant, s'il parvient à vivre jusqu'à sa quatre-vingt-dixième année, aura passé trente années pour le moins dans son lit, je ne pense pas au congé, mais à mes tâches infinies. C'est peut-être en pensant ainsi que je dors fort mal et somme toute peu de temps. Mais j'estime qu'une vie laborieuse suppose certaines règles concernant l'heure du lever, l'heure du repas, le choix des divertissements, les relations avec le monde extérieur. Et je m'efforce de faire approuver mes disciplines personnelles par les personnes qui m'entourent, qui m'aident, qui m'assistent dans toutes mes tâches.
L'ouvrage que j'achève ici s'inscrit dans une collection consacrée au jugement que les auteurs peuvent et doivent porter sur leur œuvre. Il est, à mon sens, difficile d'établir une bibliographie sans y introduire des commentaires biographiques. J'ai donc dû, pour mieux faire comprendre mes ouvrages, parler de ma personne et non certes de mon personnage. Ce n'est pas une confession, ce n'est pas un plaidoyer, c'est un document, bref somme toute, qui doit permettre à mes lecteurs fidèles de mieux me connaître et aux lecteurs éventuels de, peut-être, me découvrir.


Georges Duhamel

ndlr : Suzanne et les jeunes hommes, Mercure de France, 1945

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