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Né le 3 mai 1914 à Limoges, l'écrivain, poète, critique Georges Emmanuel Clancier (1914-2018), qui fut aussi homme de radio et de télévision est l'auteur d'une œuvre considérable, dont le célèbre Pain noir (1956), qui donna lieu dans les années 80 à une série télévisée-culte. Pour mémoire, Georges-Emmanuel Clancier a publié aux éditions Albin Michel trois livres autobiographiques : L'Enfant double, L'Écolier des rêves, Un jeune homme au secret.Au secret de la source et de la foudre est son tout dernier livre, édité par Gallimard en novembre 2018, quelques mois après son décès. Il fut aussi revuiste et à ce titre, il entra en 1940 au comité de rédaction de la revue Fontaine dirigée à Alger par Max-Pol Fouchet. De 1942 à 1944, il recueillit et transmit clandestinement à Alger les textes des écrivains de la Résistance en France occupée. ... En juin 2004, il a participé au numéro 26 de Diérèse, rendant hommage à plusieurs peintres amis (Manessier, Georges Badin).
Georges Emmanuel Clancier a publié chez René Rougerie trois livres : Journal parlé, illustré par Lucien Coutaud (1948), L'Autre Rive, illustré par l'épouse de l'éditeur, Marie-Thérèse (1928-fév. 2008) en 1952 etL'Autre Ville, qui par son titre répond au précédent. Le livre présenté aujourd'hui m'avait été dédicacé à l'occasion d'une rencontre, fructueuse, en un jour d'octobre 96 grandi par sa présence. Cinq récits le composent, voici en lecture les deux plus courts - d'une incontestable poésie -, et ce pour susciter l'envie d'en connaître plus... Inscrit sur la page de garde :
Ariane
O ville, de part et d'autre de ton fleuve, la merveille et le familier, la grâce et le trouble, l'impérieux et le furtif, tour à tour nous surprennent et nous métamorphosent. Vases communicants, quel invisible canal les relie où s'épanche de l'un à l'autre, une liqueur de gloire ?
Que de fois ai-je cru entrevoir une autre ville sans limites qui jouxterait de ses quais, de ses boulevards, de ses églises, de ses palais tantôt les rues de notre vieille capitale enchevêtrées en un inépuisable écheveau où se croisent les peuples, tantôt, dressant un plan de majesté, les vastes esplanades laissées, quand se retire la marée des siècles, telles des grèves dénudées.
Et toujours une passante vive en son sillage m'entraîne à la lisière des deux cités dont jamais je ne sais quelle est celle où j'habite, quelle est celle qui m'habite.
Ainsi, sur les hauteurs de Passy, à la suite de mon inconnue, je me hasarde dans les cours ornées de lourds immeubles - ils encadrent la terrasse feuillue et l'hôtel où Balzac traqué s'échappait vers la Seine paysanne. Là, penché au-dessus des balustres, délaissant les pergolas, comme déjà le voulait Barnabooth, au lieu du fleuve gris c'est, en bas, étincelante, la Méditerranée que je découvre.
Je surplombe sa riviera à l'heure du jazz, du tango et des ladies aux seins pâles sous les perles. Tendre est le jour où va, dansante, mon Ariane. Je tremble d'en perdre le fil. Qui sait en quel lieu, en quel temps alors je me retrouverais.
Le Fanal
Ville où s'entrelacent le réel et le songe...
Quel être, à l'heure automnale entre chien et loup, quand le ciel à l'ouest bascule - et soudain un regard d'océan s'éploie au lointain d'une allée tranchant les forêts d'ardoise -, quel être fabuleux - ange nocturne, alchimiste ou fantôme - allume son fanal tout là-haut sur la tour ?
Déjà construite d'ombre, se dresse, impérieuse et sainte, l'effigie tournée peut-être vers quelque invisible Galice. Et les temps révolus dilatent jusqu'à trop de joie et d'angoisse l'instant même de ce souffle et de cette vision au présent conjugués.
Etrange corps à corps dans les hauts de la nuit : l'aigle, le lion, le bœuf veillent depuis toujours, pour toujours le saint majeur, son immobile errance.
Sur les routes croisées du souvenir et de l'oubli, vont et viennent à jamais, par milliers, des ombres en transhumance. Une rumeur de leur prière ancienne roule entre les rives du fleuve.
Tout en bas, où rôde encore la mémoire d'Aurélia, une passante éclaire de sa blondeur si jeune l'espace des vivants. Puisse la lumière de son corps occulter enfin le signal qui palpite à la cime obscure.