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"Pierre Peuchmaurd témoin élégant", de Laurent Albarracin, L'Oie de Cravan éditeur, automne 2007, 56 pages, 200 exemplaires, 8 €

                                                                             Je n'ai peur de rien mais la patte du vent 
                                                                             sur mes lèvres peut me faire tomber.
                                                                                                                     Annie Le Brun 


Que fait la poésie ? Quel est son effet ? Quelle est son efficience ? Mais non. La poésie n'agit pas. Son verbe est exclusivement et définitivement le verbe être. Elle est. Elle reçoit. Elle prend les coups, ou bien s'exalte de ce qu'elle enregistre. On ne choisit pas. On vit dans la détermination, c'est-à-dire la surdétermination. La poésie de Pierre Peuchmaurd sait cela, que son seul champ d'action est le champ, le chant de l'être. Toutes les métaphores qui le diraient sont valables : poésie miroir du réel (mais alors miroir vivant, miroir réel), poésie sismographe des intensités du monde et de la vie, poésie baromètre des atmosphères mentales, etc. Poésie qui ne peut dès lors qu'osciller entre le constat et l'incrédulité, entre la mélancolie et l'émerveillement. Et cette oscillation n'est pas un froid balayage de tous les états intermédiaires entre ces pôles, non, elle est un affolement de la boussole, avec sensation d'être perdu, sentiment de l'éperdu, grand désespoir et folle acception. 
Et cette oscillation (cet écartèlement de l'être) n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle est concentrée, résumée en un point (en une pointe du monde) où le monde en même temps nous attriste et nous enchante. Ce point, la poésie de Pierre Peuchmaurd très souvent le montre, et elle tire sa grande force de ne faire que désigner ce point, de le laisser être, donc. Poésie qui ne force pas, qui n'œuvre pas, mais poésie qui voit, qui aperçoit le réel travaillé par une sourde contradiction et par une évidence dont on ne peut rien conclure, rien décider.

 


Poésie de l'image, puisque l'image poétique est cette figure qui laisse le réel à ses forces contraires, à ses claires ambivalences. Poésie de l'image surtout parce qu'elle ne cherche rien d'autre qu'à voir le monde, qu'à en recevoir ce qu'on en voit, en quelque sorte dans sa surface d'évidence. A cet égard, il faut noter combien la poésie de Peuchmaurd est une poésie de l'évidence, du moment de grâce où le monde apparaît en son éclat douloureux et joyeux, avide. Il faut dire aussi combien elle est poésie facile, accessible d'emblée (comme ce qui est vu est donné d'emblée et violemment au poète) ; c'est assez rare dans le paysage de la poésie contemporaine pour être apprécié. Par facile j'entends qu'elle est simple (ce qui ne veut pas dire qu'elle ne soit pas profonde), qu'elle n'est pas obscure et surtout qu'elle n'est pas une poésie de l'astreinte, de l'effort, de la volonté, mais une poésie du moment d'inspiration. Elle ne rend pas compte d'une démarche - mot d'artiste -, elle dit ce qui se donne immédiatement. Elle ne construit pas, il lui suffit de voir. Loin du crampronnement à un vouloir dire, on a affaire à une poésie du lâcher-prise, de la présence soudaine du monde, une poétique débarrassée de l'injonction et de l'illusion de la maîtrise. Citons un haïku amusant et plus significatif qu'il n'y paraît :
          Dans ta cuisine
          au centre du monde,
          le café bout     (in Au Chien sédentaire, éd. Pierre Mainard, 2005, p. 40)
Evénement à la fois banal et dramatique, commun et extraordinaire, extraordinaire parce qu'extrêmement localisé, ici étant toujours une extrémité du monde, ici étant aussi le lieu où étonnamment les choses en arrivent à être, en arrivent à cette extrémité-là, si l'on peut dire. Mélange de colère et de résignation, le café bout sans qu'on n'y puisse rien et comme s'il était la mélasse de ça. La poésie sera le reflet du monde porté à ses contradictions les plus élémentaires, jusqu'à la dérision, en une sorte d'œuvre au noir alchimique où les choses s'exacerbent et se maintiennent, s'intensifient et se réalisent selon une logique qui constitue l'ordre normal du monde et dont le poète est quasiment exclu, ou du moins relégué au rôle de l'observateur impuissant et bouleversé. Pour Pierre Peuchmaurd, tout fait surprise, et il n'est que de l'étonnement à ajouter à la surprise. Les poèmes alors transcrivent cette facilité confondante qu'ont les choses à être, qui proprement nous défait, nous laisse hagards et conquis. Quelle leçon en effet tirer de l'éclat du réel, sinon celle de la prééminence du réel ?
          Aime comme l'eau aime la soif
          et tu verras l'autre Tibet,
          le bleu très sombre de sa joie,
          le bleu très pâle de ta défaite
          (...)
          L'eau tire sa chaîne
          et le soleil la suit
          Tout ce qui vient,
          emporte-le en le laissant         
(in Les Bannières blanches, Fata Morgana, 1992, non paginé)

 

Pierre Peuchmaurd

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