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Au bistrot vert de Georges Perros, au domicile de Gérard Bourgadier...

A l'aube d'une nouvelle guerre, dont on espère qu'elle demeurera "localisée" si je puis dire, ici accessoirisée par une course assez ridicule à l'investiture élyséenne, relecture à l'aube de ce poème  :

        La mer est jeune, quel âge a-t-elle
        Elle est ce mur horizontal
        Où s'appuyer quand rien ne va
        Et rien ne va plus trop souvent
        Cette béquille infatigable
        Qui n'en finit pas de jeter
        Sa parabole au fond des sables
        Dans le cœur mat d'un coquillage
        On l'entend encore chanter.

extrait des Poèmes bleus de Georges Perros, livre paru aux éditions Gallimard en 1963. Histoire de me laver les esprits au regard d'un monde qui m'apparaît dans ses grandes lignes de plus en plus invivable, hors le Champ poétique qui me garde des flux adverses et que je défendrai mordicus jusqu'au passage de l'autre côté du miroir.
Ce qui m'intéresse chez Perros ? Ses poèmes échappent très largement à la critique universitaire. Rappelons-nous le pourquoi du titre de son œuvre maîtresse, Papiers Collés, ainsi dénommée car il estimait que ces textes ne relevaient pas d'un genre convenable !... Son bistrot vert à Douarnenez lui a probablement inspiré quelques-uns de ses "papiers", terme journalistique il est vrai. Comme Matthieu Messagier plongé dans L'Equipe, comme Georges Perros, dans Le Télégramme de Brest, ces poètes ne se prêtent que peu à cet assujetissement que constituent les gloses, les gloses de gloses et colloques en tout genre, fussent-ils conçus en leur honneur. 

Il est onze heures, le samedi 21 janvier 2012. L'année du Dragon d'Eau débutera le lundi qui suit. Je m'arrête chez un boutiquier asiatique, cambodgien précisément, pour changer la pile de ma montre à chiffres, qui ne me quitte pas (Brel, passons). Après quoi, remontant le boulevard, je sonne chez Gérard Bourgadier, qui m'avait invité. L'homme en question a entre autres édité rien moins que deux livres de Thierry Metz, parus dans la collection L'Arpenteur, chez Gallimard : Le Journal d'un manœuvre et Lettres à la Bien-aimée.

 

 

 

Gérard Bourgadier, d’un pas chancelant, vient m’ouvrir la porte de sa demeure. Il a été victime d’un AVC, me prie de l’excuser car il ne peut me recevoir debout. Sa femme et sa fille suivent « les opérations » du coin de l’œil : en costume mais sans la cravate, il se couche dos sur le divan en ayant mis un coussin sous ses pieds. Et là, il va me parler de ses auteurs de prédilection, sans façon.

Gérard Bourgadier sait que je suis venu lui parler de Thierry Metz. Il va donc commencer par lui. « Vous savez, c’était un homme très simple, "en qui l'on pouvait lire son désir d'être, à part entière", que bien sûr la vie n’a pas gâté, il n’était pas armé pour résister à ce qui lui est arrivé. L’écriture, c’était sa vie, sa vie entière, mais comment dire ?, pas à n’importe quel prix. Son bonheur lui avait été retiré à la mort de son fils Vincent, et il n’a jamais pu "reprendre le dessus". C'est ainsi. Vous voyez, ce qu’il y avait chez lui de remarquable, c’est qu'il était un prolétaire, un vrai !... Un silence. "Une façon chez lui de croire que la littérature, la poésie en particulier, peut renverser en quelque sorte les barrières sociales et surtout culturelles. Je vais écrire en sa mémoire quelque chose, pour vous, pour Diérèse, pardonnez mon écriture, je ne la maîtrise plus vraiment, heureusement l’esprit m’est resté. Vous pourrez la faire paraître dans Diérèse, le deuxième numéro consacré à Metz, dont vous m’avez parlé, heureuse nouvelle !."
Il prend alors une feuille de papier, blanche, à en-tête de la maison Gallimard et écrit ceci (un temps "interminable" semble s’écouler, je suis et demeure silencieux, dans l'attente). Cette lettre figure en page 35 de Diérèse 56, paru en avril 2012 :

LETTRE METZ.jpg

En signe d’amitié, Gérard Bourgadier me donne Le Journal d’un manœuvre dédicacé par le poète. En échange je lui remets le numéro 52/53 de Diérèse, avec la photo en première de Thierry Metz jeune, épaules nues. Sur un fond bleu vif.

… Et puis l'échange, insensiblement, a dévié sur un autre auteur, toujours présent dans ses pensées, Louis Calaferte. Un écrivain qui marque l’acte de naissance de son catalogue avec le premier manuscrit offert par Louis : Memento mori. "Un homme fascinant pour qui deux thèmes omniprésents revenaient dans sa conversation : Dieu et les femmes. Oh, oui, c’était vraiment… un chaud lapin. Auriez-vous lu La Mécanique des femmes ?, non, eh bien je vous l’offre aussi, cela me fait plaisir. Je n’ai pas vu le film, de Missolz, qui en a été tiré, je le regrette maintenant."
L’entrevue s’est terminée par l’évocation de son plus gros succès de librairie avec Vincent Delerm, sa Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules. Ses livres partaient comme des petits pains ! Il en était fier et heureux parce qu’il avait permis à cet auteur de l’être, pareillement. Voilà, tout, en résumé.

Il était midi, je devais m’éclipser, non sans m’excuser de l’avoir importuné un peu dans son quotidien difficile ; conscient d’avoir rencontré là un honnête homme, qui parlait de lui comme « [d’]un missionnaire plutôt que [d’]un passeur ». Après une vie bien remplie, Gérard Bourgadier a rendu son tablier le 6 novembre 2017.

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