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Jeanine Baude nous a quittés le 27 décembre 2021

Une poète, qui fut aussi traductrice, éditrice, qui a consacré sa vie à la poésie nous a quittés tout récemment, à quelques pas de la nouvelle année. Déjà très affaiblie, Jeanine Baude n'était pas présente sur le stand des éditions Petra qu'elle animait, au Marché de la poésie qui s'est tenu du 20 au 24 octobre 2021. Son dernier livre, Les Roses bleues de Ravensbrück, sera commenté dans le numéro 84 de Diérèse.
Elle m'avait confié un ensemble de poèmes, parus dans le numéro 82 (été 2021) de la revue, regroupés sous le titre : "Le socle du présent", dont voici les derniers vers, qui résument à eux seuls cette humanité foncière qui la caractérisait et qui a su la préserver d'une poésie de laboratoire, son existence durant :

"La nature reverdit de sa noble lumière, éternelle vestale de ce jour
Des cendres à la Saint-Jean dans la course de vivre, si fleurir

Revient
À ce

Geste cent fois répété de l’oubli sur les pages, l’effacement
La carotide blessée, mourir, effacer, effacer mais rien ne peut
Même dans l’accident, le délire profond qui acte la parole
Défaire le lien, l’indubitable accord, la musique première
Celle qui soutient la main, sa caresse longue et lente sur
Un corps aimé, un feuillet doux au toucher, la plume se
Retournant comme un duvet d’oiseau vers le livre autant que 
Vers l’auteur, sa chair, sa peau, ses os, ses mouvements
Si les mots seuls savent l’ardent de vivre, le socle du présent"


Jeanine Baude, octobre 2020

J'ai choisi pour accompagner ce trop court hommage son "Portrait de femme", elle y parlait alors de Patricia Castex Menier. Un texte paru dans la revue A l'Index n° 34, collection Empreintes (juillet 2017), pages 78 à 80. Une projection personnelle y est lisible, soulignant en écho l'implication dans l'écriture qui a été aussi celle de Jeanine Baude.

 

 

Portrait de femme


Elle est une femme dans tous ses gestes, dans tous ses mots, dans l'imaginaire comme dans le réel, Patricia Castex Menier. Ondulante et précise, affairée, jamais soumise. D'un coup du talon, elle s'envole. Du cercueil, du néant, des jours froids. A l'aune du mythe, du savoir, du rêve.

Dans l'arrière-saison du ventre, Ulysse ou Rimbaud, versus le fils dans la demeure, l’œuf primal - son éternité - se plante, germe encore, sans clou ni rivet, tenon ni mortaise du côté du présent, de la vie, de l'écriture. Le ventre voyage, mimésis : Rivage de juillet, en Italie. La mère et le fils marchent ainsi au ras des vagues. Ressac. Cela fait 19 ans, 6 mois. Cela s'ouvre, perdure dans le poème.

C'est toujours ça de pris : le printemps, ses fleurs, ses bourgeons, une naissance, dos à l'hiver et face vers l'été brûlant, sa chute dans l'automne quand le corps, ses nerfs fléchissent, que le temps est petit, toujours plus petit que la veille. Quand nos jours et nos vies vont ainsi de petits deuils en petits deuils. Si les quatre saisons répétées, années après années, ne sont qu'un jour, dans le poème, dans le mythe, la vie qui puise ses couleurs au-delà et en deçà du terme, le rêve, sa bascule aidant l'envol. Si la femme pirate accouche d'un fils, au beau milieu de l'abordage. On y revient.

Il est temps de mettre en scène. L'auteur alors se désigne au centre, ou bien de côté avec le chœur, les voix. Aussi bien, devant sa fenêtre, à son bureau, l'exil tranchant le lien du réel, l'étirant jusqu'aux confins du songe - le temps comme métaphore, sa durée cassante, son espoir dans ce qui naît, résonne à l'amble des personnages, de la tragédie qui hante les nuits de celle qui écrit. Cela se forme, se sculpte, se positionne.

L'écriture prend toute sa densité dans l'épaisseur, le feuilleté des lectures, des souvenirs, des voyages, cela se trame sur la page avec l'instant présent, le désir, la recherche du mot juste. Car, cette femme est écrivain, totalement écrivain. Elle étire le sens, se dépasse. Le temps est porteur. L'écrivaine prend alors le costume neutre d'une choéphore :

   A  Delphes
   en ce matin de février

en quête du souffle, dans le songe, par la voix des grands anciens. Elle les rejoint.

Et la bascule se fait vers le présent : Toi, Moi. La mort, peut-être, les taraude. L'écriture devient cri. La page, linceul blanc de la résurrection par la voie royale du poïen, du faire qui prend toute son ampleur. L’œuvre tend vers ce noir à traverser, lisible par tous et bouleversant :

   Nous rendrons notre corps
   sans faire d'histoire [...]
   Ni toi ni moi n'avons jamais compté
   sur la survie des ombres [...]
   Pour qu'au moment venu,
   ensemble
   nous tombions en poussière,
   mêlée à la seule cendre des voix.

Cette parole qui s'écrit maintenant sur la page. Celle-là précisément dans le cortège des dieux (manqués), des sphinges, d'Aristophane et d'Homère.

Une femme, un écrivain, le visage tourné vers la lumière, celle qui vient du dehors, du dedans, celle qui nous tient dans le cercle (infernal ou magique) de la vie : de la naissance (renaissance perpétuelle dans le poème) à la mort incluse, toujours incluse et ourlant le mot, son creusé, celui du chant à poursuivre, à jamais et toujours contre. Poussière ou Cendre.


Jeanine Baude


Les citations de cet article sont extraites de : Rimbaud design (Rougier, 2014) et de Passages avec les voix (éditions du Cygne, 2013).

 

 

 

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