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Diérèse 66, automne-hiver 2016, 246 pages, 15 €

Jean Malrieu ne fut pas seulement celui qui a fondé deux revues : c'est aussi ne l'oublions pas, un poète, qui fit passer son œuvre après celle des auteurs qu'il a publiés. De lui, nous citerons Le nom secret suivi de La Vallée des Rois (1968), Le Château cathare (1971), Mes manières instinctives (rédigé en 1958, publié en 1978), Libre comme une maison en flammes - Œuvres poétiques 1935-1976 (2004) : ce livre, imprimable à la demande, a été préfacé par Pierre Dhainaut qui a su réunir dans ce volume la quasi totalité des poèmes de celui qui dans la vie fut instituteur, par vocation.

Pierre Dhainaut, qui participe à la revue Diérèse depuis près de vingt ans, nous a fait l'honneur de présenter dans sa soixante-sixième livraison un ami qui a compté pour lui. Décédé le 24 avril 1976 à l'âge de 60 ans, est inscrit sur sa stèle « Même le temps est accepté, ce provisoire des merveilles ».

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     Jean Malrieu n’a jamais dissimulé ses origines, il était du Sud, fidèlement, et par exemple on pourrait partager sa vie en trois périodes symbolisées chacune par un nom de lieu : Montauban, la ville de l’enfance et de la jeunesse, Marseille où se déroula la plus grande partie de sa carrière d’instituteur, où il affirma sa voix dans ce climat d’émulation amicale dont il avait besoin, Penne-de-Tarn enfin, le village de ses vacances qui lui permit de renouveler son inspiration. Pourtant cet homme d’une même lumière se présenta sans cesse comme un poète en marche. C’est lui "le voyageur" de Possible imaginaire. Son chemin, le "chemin des crêtes".

     Sans doute est-ce le site de Penne, qu’il lui arriva de confondre avec celui de Montségur, cette nudité du roc, cette légèreté de l’air, qui exigea le dépouillement de ses derniers recueils, mais avant La Vallée des Rois (1968), dès Préface à l’amour (1953), Jean Malrieu rejetait ceux qu’il appelle "les lâches, les avares, les heureux", dont "les paroles sont toutes faites" : il n’a toujours eu "pour trésor" que "l’innocence". Dans Hectares de soleil, soit durant la période où ses versets célébraient avec largesse le monde que découvrent en commun les amants, ce "beau pays lyrique", d’où lui venait déjà "l’ivresse", sinon de donner son cœur au temps ?

     Aussi n’est-ce pas de son œuvre que Jean Malrieu se préoccupait, seule importait l’irruption du poème. Il savait bien que tout le préparait au fil des jours : le moment venu, il écrivait vite, sans se reprendre. Mettre au net ensuite consistait à élaguer, à construire, afin que nous lisions un recueil comme il voulait que nous lisions les paysages qu’il aimait, aux lignes "sobres". Une fois ce travail accompli, le poème ne l’intéressait plus que comme valeur d’échange : il l’envoyait dans ses lettres (innombrables), il le confiait aux revues. S’il prenait plaisir à y collaborer (Les Cahiers du Sud en particulier, qui le firent connaître au début de 1950) ou à en fonder (Action poétique avec Gérald Neveu et surtout, en 1970, Sud), il ne fit rien, en revanche, pour publier des livres comme s’il craignait de s’y enfermer.

     Comment ouvrir constamment "le chemin des crêtes" ? Jean Malrieu vénérait les cathares, mais, avouait-t-il, "comme je suis loin de la grâce !" Il associait en permanence la poésie et l’amour. Les premiers poèmes ou l’on entend vraiment sa voix ainsi que les derniers sont tous dédiés à la même femme, Lilette. Avec les années l’amour n’est plus le lien qui unit deux êtres et les exalte, il devient ce principe ou, pour mieux dire, "l’âme" de ce mouvement qui rend attentif aux autres autant qu’aux choses par-delà les identités que nous leur imposons, quelles qu’elles soient, chronologiques ou géographiques, qui révèle en cette terre "l’autre terre". Tel est le sens de la vie et de l’œuvre, inséparables, de Jean Malrieu, la découverte de ce qui nous porte vers l’accueil, qui nous oblige à réclamer un accueil plus vaste. Une image le résume, celle du feu. Le temps obséda Jean Malrieu, et la mort, et cependant, malgré tant d’accents que l’on croirait désespérés, il dit jusqu’à la fin : "J’ai l’âge du premier amour", ou bien : "Je n’ai pas assez aimé".

     Partout Jean Malrieu surprenait son "pays de conscience" ou "de vertige" dans le temps même, "accepté", "ce provisoire des merveilles". Cette rose trémière contre un mur, un arbre, le ramasseur d’ordures qui sur son tombereau ressemble à Azraël, tout requérait sa vigilance, tout le mettait en émoi. Il demandait dans Le plus pauvre héritier "la grande peur et la passion", solidaires, "pour que le temps vacille", qu’il s’embrase.

     Ce temps-là réel et fabuleux, on ne sait plus s’il correspond à la Genèse ou à l’Apocalypse, les repères disparaissent. Les poèmes qui commencèrent par se déployer, voici qu’ils semblent se resserrer, de plus en plus âpres, ils ne redoutent pas le silence. Ces mots que Jean Malrieu souvent jugeait maladroits, qui ne parviennent pas à dire la seule présence, "entre" l’effroi et la joie, ces mots sont justes, ils écoutent, ils incarnent ce qui bat au cœur du temps, en nous, qui nous déborde. 


Pierre Dhainaut

* * * *

Quatre poèmes  inédits
de
JEAN  MALRIEU


Elle porte les mains comme une lampe
Des mains prisonnières des miennes
Sa tête est nouée de lumière

Elle est là
Par intermittence
La beauté comme la fontaine
A soif

Ma vivante résout l’impossible
Elle vient dans ma vie
Dans les chemins de l’été

La nuit la porte dans mes veines.

(1936)

 

Aux Alycamps


Au long des Alyscamps où la vie est sévère, le vent
Au long du temps qui joue dans la mémoire, le soleil
Avec nos pas sur le soleil et la mémoire
N’en ont jamais fini de jeter nos ombres sur les tombeaux.
C’est un instant en nous caché qui déborde et fait siens 
               d’une seule durée
Vingt siècles et notre âge sur le contre-jour de l’été,
               une seule ombre sur la terre.
En Arles, coule un temps égal de la gueule des lions des fontaines
Où nagent, fabuleux, vivants et morts des grandes profondeurs
               du silence
Mais les tombeaux sont vides et l’air est beau. Demain tinte 
               à n’en plus finir sur la plus haute feuille vive.       
À l’extrême pointe de l’arbre chante la cigale 
Dans l’éblouissement de l’été.

(1955 ?)

 

Tu prendras de la distance. Dominer
Est aussi une façon d’aimer, de lire dans les grandes lignes 
               de l’espace
Et de la main.

Le voyageur solaire s’arrête au coin de la tour
Où s’enroule le lierre - il est fidélité
Autour des paroles.
Voir l’agitation des hommes,
C’est aussi participer.
À contre-jour les vanneurs trient le grain, la balle, la poussière. 
Il faut bien que quelqu’un donne des ordres,
Ordonne le paysage et, au soir,
Fasse la somme.
 
Propriétaire d’un instant,      
Démiurge de la vie, 
Que quelqu’un soit l’intermédiaire
Entre la plaine et les étoiles.

Va ! Cet orgueil te sera ôté.
La nuit vient tôt.
Il ne reste qu’une grande paix
Qui fait parfois rêver les hommes.

(1967 ?)

 

En ce lieu tranquille où pousse le fenouil,
Où l’herbe drue envahit les allées 
Gisent égaux, et chacun d’eux plus vieux que des siècles
             à bout de course,
Des inconnus et des amis.

Hier, ils avaient un nom, un sang précis, 
Une pudeur. Les voilà anonymes
Datant à rebours une survie.
Certains remontent au déluge.

La paix s’allonge derrière le mur gris.  
On baisse la voix, marche légèrement
Sur une terre sonore,
Cependant que près des murs, les uns, pleins de fureur
Calmée, pleurent dans leurs mains vides,      
Inutiles, repliées en une cape sombre,
Qu’ont-ils à dire, à ne plus dire ?

Les pas des vivants s’éloignent sur la route
Où le soleil se joue avec les ombres
Et le dernier venu pas encore décomposé
Entend des bruits qui ne le concernent plus.

C’est bien le lieu où l’on voit passer les nuages.
Le jour fuit, revêtu d’une étrange beauté,
Alors que l’église voisine
Est en relation avec la sérénité.

(1972 ?)

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