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Née le 13 avril 1963, Aksinia Mikhaïlova vit et travaille à Sofia, en Bulgarie. Prix Apollinaire dès son premier recueil écrit directement en français : Ciel à perdre (éditions Gallimard, 2014), Prix Max Jacob 2020 pour Le baiser du temps,publié par la même maison d'édition, Diérèse fait figure de précurseur avec les traductions du bulgare en français des poèmes de Mikhaïlova par Dosténa Lavergne, textes parus dans son numéro 35. En 2006, elle n'avait alors que trois livres à son actif : Les herbes du sommeil (Ed. Ecrivains bulgares, 1994), Lune dans un wagon vide (Ed. Aquarium méditerranéen), Trois saisons (bilingue français-bulgare, éditions LCR, 2005). Elle compte aussi de nombreuses participations en revues (Moldavie, Roumanie, Slovaquie, Serbie, Croatie, Macédoine, Belgique, France). C'est aussi une traductrice du français au bulgare, en particulier de Georges Bataille, Pierre Bourgeade, Sylvie Germain, Vénus Khoury-Ghata... Femme libre, elle a cette manière si particulière de se raconter, de prendre le lecteur à témoin et de partager en somme son histoire, son vécu : "Papillon de nuit désespéré est le désir". Non, le je n'est pas haïssable, qu'on se le dise ! A la lire de plus près, Aksinia Mikhaïlova en est attachante, et c'est bien ce qui depuis ses débuts continue de plaire dans son écriture.
Le matin je me coiffe devant le miroir lui lit son journal. Jour après jour je lui raconte toujours les mêmes rêves : la ville blanche et le cadre monstrueusement vide, Breton et ses beaux arums de désespoir car l'acte d'amour et l'acte poétique sont incompatibles avec la lecture du journal à haute voix je n'en parle peut-être pas très bien puisque dans la mer des nuits sans partage à chaque fois surgit une île de sel.
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La mémoire est un nid de cigogne, embroussaillé de duvet, souvenirs, brindilles hirsutes, pensées brouillées, des vents d'automne l'emplissent de feuilles colorées, comme des enfants dans le jeu ; comment discerner la peur de l'espoir dans la corbeille en osier de l'attente, je connais seulement le langage de la peur, ce n'est pas difficile, me dis-tu, la ville, où je suis née, depuis des siècles, flirte avec les vents, les séduit dans ses ruelles étroites, les cultive dans ses vastes vitrines en leur jurant fidélité ; tu ne feras rien de mal si tu restes, je t'ai longtemps cherchée après la pluie, l'arc-en-ciel au-dessus de la mer est une plaie, une cicatrice dans le ciel. Papillon de nuit désespéré est le désir que tu enfantes mon fils, l'amour crée et détruit, les fêtes de la chair s'amenuisent, oublie la peur, demain ce sera trop tard, dans la ville, où je suis née, les cigognes ne viennent pas nicher.
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La nuit glisse entre nos ventres collés et ces doigts mordus évoquent dans ton sommeil les gémissements d'une autre femme. C'est le troisième automne que tombent les fruits du figuier que nous avons planté ensemble, ça fait trois années que les graines collent à nos corps nus, ça n'a aucune importance si je te disais ou bien passais sous silence : "celui qui aime jamais ne blesse"
l'un de nous va éteindre la bougie d'amour et mon corps ne t'appartiendra plus.
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Tes paroles
on dirait qu'elles sont les mêmes qu'au début mais elles bruissent au vent telles des cosses de haricots à la fin du mois d'août et elles ne parlent plus ni à l'esprit, ni au cœur
je retiendrai quelques graines sous la langue puis je les enfouirai dans le pot du balcon et pendant que j'écouterai les pousses parler avec la terre j'apprendrai à épeler le monde à travers tous les autres sens.