Diérèse et Les Deux-Siciles - Page 51
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La rivière prend parure de flammes sous les branches
La rivière sous la coupe de cristal bleu
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"La Main", une sculpture d'Alberto Giacometti, vue par Joachim Pissarro
Alberto Giacometti : La Main, 1947
Bronze : H. 57 cm, 22 1/2
Alexis Rudier Fondeur, ParisLa Main de Giacometti
Les mains sont singulières
Georges Limbour
Une main : La Main, figée, tendue, exsangue, squelettique, fichée verticalement sur une tige qui la relie à son socle, et prolongeant horizontalement (ou obliquement) un avant-bras et un bras ; cette Main présentée sous cage de plexiglas, aborde le vide, se donne à notre regard, se donne à nous pour nous accuser. Elle point, se tend, se livre, fragile et toute menace : pleine gifle au regard. Le pouvoir de fascination de cette pièce, son pouvoir étrange, ressortit de quelques paradoxes : tout d’abord, la main usuellement porte empreinte ; signe, ou porteuse de signes, elle assigne une identité : elle est la main de quelqu’un. Ici, elle n’est main de personne : arrachée, perdue, isolée, parfaitement abstraite. Nulle identité nulle part ; soutenue par le vide et l’anonymat. Pourtant, bien sûr, aux yeux de tous ou presque, cette main pour ainsi dire suinte Giacometti de tous ses pores : elle signe Giacometti, de sorte qu’il n’est aucun doute sur son origine. Elle désigne le geste signataire.
En fait, l’ambiguïté de cette œuvre tient, en partie, à l’hésitation où l’on est de savoir si cette main vient d’être arrachée à un corps mort ou vivant. James Lord suggère que cette main de 1947 fait peut-être allusion à la débâcle, à l’éparpillement absurde des corps et des membres propres à la guerre. Cette main - La Main - serait donc main de manchot : représentation d’un arrachement, d’une perte, d’une douleur, de la peur ou de l’effroi, signe d’un manque qui ne peut se racheter. – Moins dramatique, l’hypothèse que cette main (et son bras) ressortissent de la pure décision de l’artiste de faire de faire œuvre à partir d’un fragment, ou plus exactement d’un détail. Dans un cas, La Main désignerait un accident ; dans l’autre, elle se montrerait comme étude. "Le monde m'étonne chaque jour davantage. Il devient tantôt toujours plus lointain, tantôt plus merveilleux, tantôt plus insaisissable, toujours plus beau. Le détail me passionne, le petit détail", avoue Giacometti.
La plupart de ceux qui ont visité l’atelier de Giacometti (Georges Limbour, par exemple, en 1947), décrivent l’atmosphère de désordre, d’éparpillement, de chamboulement qui frappe d’abord le visiteur ; ce sont toutes sortes de fragments accumulés ou abandonnés. Il est donc difficile, et vain peut-être, de décider s’il s’agit en cette Main d’un fragment d’atelier ou d’un relief de la guerre. Au demeurant, il peut fort bien s’agir des deux, l’atelier de l’artiste offrant tout l’aspect d’un champ de bataille. -
"Une vie ne suffit pas"
Plongeant sur le Léman
mille aiguilles d'acier
mille vaguelettes induites
par ce qui n'a pas de nom
soupirent dans la brise
porteuse d'échos
l'air et la flamme ainsi s'étreignentLe tilleul qui s'étire
nous comble de sa sollicitude
comme s'il redessinait la lumière ténue
qui filtre des nuages
reflétée par l'autre versant
ses cyprès en torche
ses peupliers d'Italie
enroulés sur le dernier soleil
à même le rayon vert
du crépuscule qui s'annonceSillage de moins en moins distinct
quelque part un combat s'achève
un peu d'or se glisse encore
dans les veinules d'un paysage brouillé
à écouter les images
venues couvrir d'une ombre lucide
la trace de nos pas
où se confondent l'extrême hier
et le tout proche demainDaniel Martinez