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"Le Visiteur qui jamais ne vient", de Roger Munier, éditions Lettres Vives, coll. Nouvelle Gnose, mai 1983, 64 p., 49 F.

Deux mois à peine après que Roger Munier avait terminé d'écrire "Le Visiteur...", soit le 22 mars 1983, son éditeur fit paraître ce livre, bien dans le ton du philosophe-poète, dont la langue épurée autant que réfléchie ouvre sans discontinuer le champ sémantique et dénonce les faux-semblants de la pensée : dans un souci de rigueur qui tente de délivrer les mystères du monde que l'écrivain scrute pas à pas, d'un fin regard de connaisseur. En préface à ce livre, Roger Munier précise : "Il (ndlr : le Visiteur) est le sens qui se diffère, l'espoir ou la vision qui s'offrent autant qu'ils se dérobent, la sérénité, en un mot, de l'attente qui n'est qu'attente, mais s'illumine comme attente."

Roger Munier a bien connu le poète Paul de Roux, qui dans ses Carnets mentionne, en date du 4 août 1984, un extrait d'une lettre que celui-ci lui avait adressée : "Décrire, simplement décrire est peut-être la plus haute pensée. Dans le passage aux mots, se lève comme un absolu de la chose. Ab-solu, détaché, vibrant, dans ce passage..." (in Les intermittences du jour, éd. Le temps qu'il fait, 1989). Toute sa quête pourrait ainsi se résumer, sans fioriture aucune, mais touchant à l'essence, à l'essentiel.

Ecoutons-le plutôt :



 

 

 

       Le lieu où je suis, quel est-il ? Ce n’est jamais le lieu où je me vois. Il est comme inapprochable, même de moi. 

       Non, ce qui se passe n’est pas ce qui se passe en ce moment. Autre chose advient dans ce qui se passe. Non hors de lui, non ailleurs qu’en lui, mais en lui, comme ce qui se passe. 

       Le mystère de ce qui existe prend la forme de ce qui existe. Il est pierre et feuille et arbre et ruisseau. Il n’est justement ce mystère que parce qu’il prend la forme de ce qui existe. 

       Une autre vie - la vie ? - double celle que nous vivons. À tout moment prête à émerger : dans la merveille ou le terrible. La vie que nous vivons empêche tout miracle. 

       L’être des choses, c’est les choses, selon et dans la pensée. - Mais les choses sans la pensée ? Elles ont comme l’être, mais non l’ être. Autre chose que l’être. Qu’ont-elles au juste, dans leur

       Le monde naturel, parce qu’il manifeste sans désigner, signifie. L’oiseau qui chante au matin, le vent dans les feuilles ne disent rien d’autre que soi. Ils sont ce qu’ils signifient. Ils signifient ce qu’ils sont.

       "Être et pensée ne font qu’un." Mais est-ce la pensée qui se modèle sur l’être ou l’être sur la pensée ? L’être est le lieu de la pensée. Peut-être rien de plus. 

       Tout ce qui est parle en étant, rien qu’en étant. C’est cette parole pure, sans adjonction, sans attribut, qu’il faut tenter de surprendre. 

       Le mince croissant de lune orange, au-dessus des frondaisons noires, ce n’est pas en le regardant qu' on le voit. Il faut d’abord fermer les yeux, le rendre à son espace solitaire et magique, où il se lève, avant et hors même tout regard. 

      Il y a la beauté du monde. Mais, derrière elle, il y a le monde sans sa beauté, le monde hors l’apparence. Qu’est-ce que la mer sans ce qui la fait telle ou telle : calme ou démente, grise ou brillante-bleue et lisse comme une soie ?    
       Un nuage passe et la mer change de visage. Où est "la" mer ?
 
       Nombre d’étoiles que tu regardes ne sont plus là où tu les vois. Celles qui sont là ne se verront qu’infiniment plus tard, par d’autres qui ne verront pas ce qu’ils voient. Que voit-on ? 

       La chose même est Tout, qui n’est pas :  la chose. Qui n’est qu’en n’étant pas la chose. La pierre est Tout qui n’est : la pierre qu’en se voilant de soi. 
       Mais cela, tu l’atteins en atteignant : la pierre. Car le voile est la pierre même, si la pierre n’est que le voile. Il est la chose même si la chose est le voile. Car elle est voile, mais de soi. 

       Ce galet de la plage, comme s’il était seul au monde, à lui seul le monde, le seul. Parfaite idole. 

       Dans la tempête, il y a beaucoup plus que la tempête, et dans le jour serein qui suit, beaucoup plus que le jour serein. 

Roger Munier

 

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