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"Vahé Godel habite Genève, où il est né le 16 août 1931, d'un père suisse (le linguiste Robert Godel) et d'une mère arménienne, originaire de Bursa (Turquie). Les séjours qu'il a faits en Arménie, dès 1969, l'ont profondément marqué. Hérétique, érotique, errant sans cesse entre l'Orient et l'Occident, entre les vers et la prose, l'incantation et le récit, héritière tout ensemble d'un Henri Michaux, d'un Octavio Paz et de Grégoire de Narek (le grand mystique arménien du Xe siècle), son œuvre comprend une quarantaine de livres dont : Signes particuliers (poèmes, Grasset, 1969) ; Du même désert à la même nuit (récit, J. Antoine, Bruxelles, 1978, réédité dans la collection Poche suisse, L'Âge d'Homme, 1991, avec une préface de Nicolas Bouvier) ; Qui parle ? que voyez-vous (récit, Zoé 1982, Prix Schiller) ; Quelque chose quelqu'un (choix de poèmes, préface de Jean Starobinski, La Différence, Paris, 1987) ; Arthur Autre (roman, La Différence, 1994) ; Un homme errant (récit, Métropolis, 1997) ; Le sang du voyageur (choix de poèmes, préface d'André Clavel, Poche suisse, L'Âge d'Homme, 2005) ; La poésie arménienne du Ve siècle à nos jours (anthologie, présentation et traduction de V. Godel, La Différence, 2006) ; D'une plume clandestine (L'Aire, 2009)." Ajoutons encore Rien (ou presque) (Éditions des Sables, 2012) ou Parlez, je vous écoute (L'Aire, 2012)."
Parmi tous ses livres parus, j'ai choisi Le sentiment de la nature, pour ce qu'il dit de beau du monde végétal en particulier. Son livre est divisé en deux chapitres, le second s'intitule "Dans le noir", le premier "Autoportrait d'un frontalier", l'ouvrage débute ainsi :
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"Le coeur noir du soleil" : Daniel Martinez
Laisser se perdre un son
à peine est-il formé
un sens, à peine formulé
surgir s'enfuir
écarter du regard
le sceau de la poussière
inciser le cœur noir du soleil
qui chuchote dans l'orme attentif
mille complaintes et mouvements de plumes
le couver d'un souffle pénétrant
celui-là même qui se joue
des frontières et des rites
route blanche vaisseaux de l'écorce
où s'accumulent des petits riens
semblables à notre histoire
grevée de fumées
traversée du dessein de puissance
Laisse se perdre ta voix
sous les sifflets du vent
car tout se défait
à l'écoute des sables
au double vide du saut de l'acrobate
tu reviens de loin l'horizon penche
et couvre un moment les partitions
Diane reprend une gigue en ré majeur
de Nicolas Chédeville le dernier des trois frères
qui firent de la musique flamme nouvelle
bois plutôt la beauté
sous l'infime rumeur du chaos
Et de grâce laisse tourner à l'aigre
le mauvais vin, se flétrir
la pourpre du rhododendron
s'embraser les poignets du jongleur
sans savoir où demain
nous conduira
car telle est dans le fond
comme dans la forme
l'ambiguïté fondamentale
qu'il importe de ne pas lever
Daniel Martinez