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Commenté par Gérard de Cortanze : "Sébastien, l'enfant et l'orange", de Michel Fardoulis-Lagrange, éditions Le Castor astral, 1986, 174 pages, 68 F

Je vous ai déjà parlé du romancier et poète Michel Fardoulis-Lagrange, précisément de son recueil Elvire, figure romantique, paru aux éditions Hôtel Continental, en 1986. Né le 9 août 1910 au Caire - tout comme Edmond Jabès, en 1912-, lui de parents grecs : Michel Fardoulis, après des études au Lycée français, s'est retrouvé à Paris à l'âge de dix-neuf ans (, où il vit alors dans une grande misère. Il finira par obtenir la nationalité française en 1986, soit huit ans avant son décès (à Paris, à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière).
Signalons au passage qu'il a dirigé une revue de référence, "Troisième Convoi" qui compte à son actif 5 numéros, parus en 1945, 46, 47 et 1951. Les volumes en question ont accueilli dans leurs colonnes des écrivains tels qu'Arthur Adamov, Antonin Artaud, Yves Bonnefoy, René Char, Charles Duits, Michel Fardoulis-Lagrange, Roger Gilbert-Lecomte, Jean Grenier, Georges Henein, Georges Lambrichs, Francis Picabia, René de Solier...
Premier livre de Michel Fardoulis-Lagrange, "Sébastien, l'enfant et l'orangedate de 1942 et porte la bande d'annonce : « Des éléments obscurs de la sensibilité à l'expérience vitale ». Cet ouvrage lui valut d'emblée la sympathie de ses pairs. Ce tout premier roman sera réédité par les éditions du Castor Astral en 1986 et en juillet 2003. 

Voici à présent ce qu'en a dit Gérard de Cortanze :

 

 

 


Né au Caire en 1910, Michel Fardoulis-Lagrange, ancien élève de Léon Brunschvicg et d'Abel Rey (qui a encadré les travaux de thèse de Gaston Bachelard), occupe une place étrange dans la littérature française contemporaine. Reconnu par Max Jacob, Georges Bataille, Michel Leiris et d'autres comme un des plus grands, il n'en reste pas moins dans la marginalité la plus absolue. Auteur d'une cinquantaine de livres aux structures volontairement éclatées et sans cesse à la recherche d'un genre nouveau qui réunirait la poésie et la prose, le roman et le journal, il publia son premier livre à trente-deux ans, en pleine guerre, à un tirage si faible qu'il ne fut réservé qu'à une poignée d'amateurs. C'est justement ce premier écrit qui a été réédité par les éditions du Castor Astral.
Dans sa postface, Michel Leiris qualifie Sébastien, l'enfant et l'orange de "roman-poésie", car, précise-t-il, le discours y apparaît comme un "ressort essentiel". Nous pourrions, en effet, dire de l'œuvre de 
Michel Fardoulis-Lagrange qu'elle est marquée par une grande hésitation, une volonté de ne pas se donner pour ce qu'elle est, comme un besoin de brouiller les pistes, de passer du quotidien "naturaliste" au lyrisme le plus subjectif, de la transfiguration à la dénonciation des objets et des choses.
Dans Memorabilia (Belfond, 1968) par exemple, Fardoulis-Lagrange emprunte son titre à une phrase de Nerval extraite d'Aurélia ("Swedenborg appelait ses visions Memorabilia, il les devait à la rêverie plus souvent qu'au sommeil") et dans le même temps nous donne à lire une sorte d'éducation "événementielle" allant de l'enfance à l'adolescence. Dans
Sébastien, l'enfant et l'orange, il évoque la force d'irréalité que peut provoquer chez un enfant sa chute accidentelle d'un train lâché sur le monde des hommes à grande vitesse.
Bien que nous soyons entre la poésie et le chant, entre la confession et le scandale autobiographique, nous ne pouvons parler d'écriture automatique ou de rêve éveillé. On sait que les surréalistes tentèrent à plusieurs reprises de faire parler "la bouche d'ombre" et que Desnos, conscient de frôler, lors de ces exercices, l'"abîme", poussa certainement Breton à y mettre fin.
Michel Fardoulis-Lagrange ne fut jamais surréaliste mais peut faire partie de ces créatures qui surent se maintenir aux lisières de cette forêt profonde.
Sans doute, pour reprendre le mot célèbre de Breton, ne comptait-il pas, lui, "sur le débit torrentiel de l'écriture automatique pour le nettoyage de l'écurie littéraire", mais il est permis de voir dans ces nébuleuses tournoyantes, dans ces débris de rêve et de vie jetés avidement au lecteur qui ne manquera pas d'être perturbé par une telle traversée de la langue, comme la voix pure d'un homme qui veut faire surgir du mot la part de réalité et d'irréalité qui est en chacun de nous.
Une nouvelle fois, Leiris a raison. Fardoulis-Lagrange n'est ni fantastique, ni éloquent. Il s'accouple, respire, nous donne à lire un état de fusion et nous entraîne au plus profond des sables mouvants de notre mémoire. Ecoutons-le, au milieu des larges irrigations de l'adolescence, de la salamandre moite, des viandes égorgées : 
"Les bêtes vivantes crient de volupté ; leur masse chaleureuse se rapproche, alors le vaste corps étalé sur les rails s'ouvre, et le fou promène ses mouvements véreux."
Il est indispensable de redécouvrir la haute et majestueuse littérature de 
Michel Fardoulis-Lagrange, dans un lieu aussi lumineux que sonore, entre Saint-John Perse et Thelonious Monk.


                                                                                                                                                               Gérard de Cortanze



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