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"Correspondance 1958-1894" Charles Bukowski, traduit de l'américain par Marc Hortemel, éditions Grasset, 430 pages, 20,90 €

Dans le prochain Diérèse, vous pourrez découvrir une note de Jean-Paul Bota sur le dernier livre de Jacques Josse, paru le 20/10/2023 chez Folle Avoine "Postier posté" où est mentionné le sulfureux (d'aucuns diront "inacceptable") Charles Bukowski. Né en 1920 à Andernach (Allemagne) il prend le départ pour Los Angeles avec ses parents à l'âge de deux ans. Aux Etats-Unis, c'est la Grande Dépression, et le père de Charles Bukowski passe ses colères et ses frustrations sur son fils, affectionnant la pédagogie quasi-militaire du fouet...
N'insistons pas plus. Plutôt se reporter à présent - pour ceux qui ne la connaîtraient pas -, à la Correspondance de l'auteur du Postier, que vous présente Raphaël Juldé :

S'il y en a un qui n'a jamais écrit que sur sa propre vie, c'est bien Bukowski ! En vers ou en prose, à travers six romans et une multitude de nouvelles, le "vieux dégueulasse" n'a jamais trouvé de meilleur sujet d'étude que lui-même. Les éditions Grasset, après avoir réuni les Contes et nouvelles et les Romans, et avant d'avoir publié l'intégrale des Poèmes, ont proposé à ses lecteurs la première édition en français d'un choix de lettres de Charles Bukowski.
Cette correspondance s'écoule de 1958 à 1994 ; elle commence donc avec les premiers pas de Bukowski dans la presse underground, et s'achève avec sa mort. En 1958, Hank travaille au tri postal. Il s'est depuis peu remis à écrire après une interruption de dix ans. Avec ces lettres, adressées à ses éditeurs E.V. Griffith, Jon et Louis Webb ou John Martin, aux amis écrivains et poètes, aux admiratrices et aux maîtresses, le lecteur retrouve un Bukowski fidèle à lui-même, à ses obsessions de toujours : l'alcool, la baise et les courses de chevaux. Plus besoin de passer par la fiction, ce sont des tranches de vie qu'il livre à ses correspondants, qu'il s'agisse d'une séance photo qui tourne au cauchemar, racontée dans les moindres détails à Jon Webb en octobre 1962, des crises de l'une de ses femmes ou de ses innombrables cuites, Hank puise à pleins seaux dans son quotidien des anecdotes épouvantables et drôles...

 



 

... "je ne suis même pas capable de traverser une pièce sans me blesser. Tiens, par exemple, ce matin j'ai marché sur un ouvre-boîte. Bien sûr je n'avais pas de pompes. Ça fait partie des petites tragédies." Plus attiré par les clochards, les femmes et les parieurs que par les auteurs de sa génération, il n'hésite pas à livrer ses pensées sur certains de ses amis poètes, et sur la littérature en général. Mais le monde littéraire ne l'intéresse pas, Bukowski n'appartient pas à cette caste de poseurs, pas plus qu'il n'appartient au bureau de poste ou au champ de courses : partout il débusque les mascarades, les vanités ridicules : "Ce qu'il ne comprennent pas c'est que personne n'est écrivain tant qu'il n'est pas assis devant sa machine et que les mots chanceux commencent à prendre forme." C'est ce regard détaché et désabusé que l'on retrouve dans les lettres de Bukowski  - mais on découvre aussi un homme seul et tendre, débordant de tendresse et d'amour les femmes, pour sa fille Marina, toujours prêt à aider ses amis et, comme tous les timides, brutal dans ses déclarations, maladroit dans ses sentiments. "[...] pour ce qui est des femmes ici-bas j'ai beaucoup plus de problèmes. Je suis trop émotif, non matérialiste, et mes sentiments sont fermement accrochés quand les autres ont l'air de faire mumuse avec. je me consume mon pote, je me consume... [...] tu ne pourrais pas me donner quelques conseils sur les femmes, fiston ? elles sont en train de brandir mes tripes du bout de leurs porte-drapeaux !"
En 1970, Bukowski quitte la poste où il est resté quinze ans (trois ans comme facteur, douze au tri), son éditeur John Martin lui octroyant une rente à vie de 100 dollars par mois. Hank peut enfin se lancer dans le roman, et commence à visiter les Etats-Unis pour lire ses poèmes dans les universités du pays, et jusqu'en Allemagne. Ces lectures seront toujours un supplice pour cet affamé de solitude : "Il me faut environ 2 semaines pour me remettre d'une de ces lectures. Je ne comprends pas comment les poètes font pour y arriver, il y en a même certains qui donnent deux ou trois lectures par mois... Si, je sais comment ils font pour y arriver : par vanité. Et aussi par manque d'énergie : quand ils lisent on dirait qu'ils sont en train de zozoter dans leur tasse de thé."
Dans ses lettres comme dans ses poèmes, ses nouvelles ou ses romans, Hank reste fidèle à lui-même, à ce personnage douloureux et cynique qui n'a rien d'imaginaire, rien de travaillé : cette correspondance réconcilie définitivement Charles Bukowski et son "double" Henry Chinaski.

 

Raphaël Juldé

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