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"Le bateau en papier", "Papierboot" de Barbara Köhler, dans une traduction de Pierre Parlant

Barbara Köhler (1959-2021) est née en RDA à Burgstädt. Ouvrière spécialisée dans l’industrie textile, elle a travaillé comme aide-soignante dans un foyer pour personnes âgées et comme éclairagiste au théâtre de Chemnitz. Passée dans les années 1980 par le fameux « Institut für Literatur Johannes R. Becher », son premier recueil a paru peu après la Réunification allemande en 1991. Traductrice de Gertrude Stein, Elizabeth Bishop et Samuel Beckett, elle a également une œuvre de plasticienne, qui prolonge son travail poétique à travers de courts textes, des photographies et installations. Trois de ses recueils ont été à ce jour traduits en langue française, aux éditions L’extrême contemporain : Deutsches Roulette (1991) et Blue Box (1995), par Laurent Cassagnau en 2022 et 2023, et Niemands Frau (2007) par Sven Keromnes en 2025.

A découvrir le poème en vers puis en prose qui suit, intitulé : 

 

 

 

 

Le bateau en papier

 

I

On ne croit pas ici que les fleuves veulent se jeter dans la mer.
Depuis Dresde, nul n'attribue d'Atlantique à l'Elbe de marées pas davantage.
Quelqu'un dit : ici c'est marée basse.
Suspendu l'arc d'un poisson mort, il chute soudain dans l'eau : la lune. Quatre femmes en contemplation.
Les images romantiques s'écaillent. Sous le glacis apparaissent les repentirs, la toile de fond. Le cadre doré n'est qu'en apparence la fin du monde ; il nous reste encore la profondeur.
Quelqu'un dit : la couche de boue toxique au fond des fleuves.
Quelqu'un dit : les projets jamais menés à bien.
Quelqu'un dit : sur la toile, un nouveau tracé.
La lune et la mer à n'y pas croire.

 

II

Peut-être est-ce une histoire allemande : plus la surface nous est mesurée, plus l'abîme est sans fond. Qui s'abandonne, sombre. Dans la boue qui dissimule le sol. Le sol sanglant de l'histoire allemande. Sur quoi bâtir alors, et que construire, entre baroque en boîte, ruines, béton.

 

III

La lune tombée dans l'eau est un bateau. Une barque légère, mais une raison suffisante pour affirmer que la Saxe également est au bord de la mer. Une raison suffisante – ai-je dit raison, nous est-il possible de tenir dans un bateau en papier.
Papier qui pousse pour nous de forêts moribondes, et à qui nous confions parfois notre mort : Livres de nuits, phrases scellées, lettres jamais envoyées. Images sans cadres, esquisses sans mesure, la secrète destruction des proportions. Papier saturé d'errances et d'aventures, lorsque le pays nous a laissés et que l'espérance nous abandonne. Papier sur lequel nous venons à nous-mêmes, papier sur lequel nous sombrons, notre barque notre raison fragile. Saxe-sur-mer – ohé !

Barbara Köhler

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