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A la manière d'un conte : les éditions Marchant Ducel (1982-1995)

Les signes ascendants.jpg

"Les signes ascendants", de Daniel Abel  


C'est mon rêve qui débute ainsi
quand l'ombre est d'or
et que la vie ajoute plus qu'elle n'efface
l'image continue de bouger
les langues végétales déliées
portent en elles cette "peur pour tout ce qui existe"
comme l'écrivait Jules Romain
              Les blancs et le bleu les réécrire
l'ici cristallisé l'iris
où moissonne le la
d'où jaillit une gerbe de vibrisses diaphanes
depuis l'intérieur à même la Galerie des Transparences
dans un semblant de cadre
              mon murmure mon souffle
tout aux nocturnes battements
du sang qui pulse dans l'espace entier
et qui paraît
              le temps lui-même
ses calligrammes ce qui s'échappe
des inégalités du fond
fauvette jaune au frémissement du jour advenu
confondu à tes chevilles plus fines
que l'écho d'un rire aigu
dont je demeure le témoin
              Des corolles tremblent
sur la surface liquide dérivent
des vestiges d'aquarelles d'huiles et de gravures
dans leur aléatoire
au fil aux soies d'un corps
qui nous est commun


Daniel Martinez

Giovanni Battista Braccelli (1584-1650).png

Giovanni Battista Braccelli (1584-1650)

 

 




Voici :

Il s'agit à présent de l'histoire d'une petite maison d'édition - qui a donné lieu à un conte de mon cru,  intitulé : "Rien de précieux ne s'efface".

Cette maison s'appelait "Marchant Ducel", soit Marcel Duchamp dans le désordre, tenu en fait par Franck André Jamme qui résidait dans le Loiret, aux Bordes. La directrice de publication, une certaine Lucie Ducel, aquarelliste de talent, habitait alors 79 rue du Chemin vert. Elle était slave et son compagnon l'avait quittée. Résultat : il lui fallait vendre ce qu'elle avait édité à grands frais pour se payer seule son voyage de retour au pays, en 1995. Je devais - le hasard fait parfois bien les choses - la rencontrer dans ses appartements ; âgée, elle avait bien du mal à se déplacer et le parquet, un peu trop ciré, laissait craindre le pire. Elle s'était endettée, en fait, avec des éditions de luxe, pour des poètes de son choix. Mais desquels au juste parlez-vous, je vous prie ?

Elle me narra ce qui fut son aventure, sans ambages. Tout cela avait commencé par la publication, en Inde, du Convalescent, de René Char, imprimé en mai 1982 par Neesa Press, à Katmandu, un recueil enté d'une peinture tantrique. Le tirage était alors de 25 exemplaires sur Népal. Un joyau, naturellement ! Vous me connaissez mieux à présent, je ne dis pas cela à la légère... "Mais quel homme charmant, prévenant, ce René Char !, vous ne pouvez l'imaginer. Nous avons partagé un moment de vie, inoubliable."
Dans la foulée, il y eut le Dernier Chant de Milarepa, traduit du tibétain par Lopsang Lama, à 40 exemplaires cette fois-ci, toujours auprès du même imprimeur.

Et tant d'autres : Brug'pa Kun'legs, Lokenath Battacharya (Des aveugles très distingués), Roger Munier (Comment dire ?). En août 1983, le couple décida de rentrer en France. Yves Bonnefoy, qui habitait alors le onzième arrondissement publia chez elle, Lucie Ducel, deux livres : Par où la terre finit, à 45 exemplaires sur papier de jute du Rajasthan, avec une miniature indienne, imprimé en juillet 1985 par Franck Meyer, à Paris.
Vous l'avez compris : dans leurs bagages, le couple Ducel avait ramené des miniatures indiennes, pour la bonne cause. Et grand bien leur en a pris, puisque Yves Bonnefoy récidiva avec Là où creuse le vent, tiré à 49 exemplaires sur Larroque (en juin 1986), recueil rehaussé de deux peintures tantriques. Le même mois de la même année précisément, Philippe Jaccottet se fendit d'un bel ouvrage illustré par une aquarelle de Anne-Marie Jaccottet : Le Cerisier (49 exemplaires, imprimés par Gilles Couttet, Le Pontet). Lucie adorait les aquarelles, il est vrai...

Mais, ce qui m'importait le plus était bien ces deux recueils de Henri Michaux dont vous savez tout le bien que je pense, mis en vente à la défunte librairie Nicaise sur le boulevard Saint-Germain, remplacée par je ne sais trop quoi qui s'accorde à nos temps d'inculture...
Ce fut d'abord, en juin 1983 - Michaux n'avait plus qu'un an à vivre -, Yantra, 15 pages en accordéon, tirés en tout à 36 exemplaires sur Népal, tous rehaussés d'un shri yantra traditionnel (je ne suis pas sûr que la BNF en dispose d'un seul, mais peu importait à Henri Michaux, libertaire d'esprit, qui se moquait souverainement des officialités !, un poète authentique donc). Quelques jours avant de passer de vie à trépas, il avait téléphoné à Lucie pour lui dire qu'il l'avait rêvée dans les tons roses, de la couleur précisément du shri yantra de ce livre d'artiste édité par ses soins.
Il y eut aussi, du même auteur "pléiadisé" post-mortem (toujours opposé à cela de son vivant) : Fille de la montagne, publié en mai 1984 à 60 exemplaires par Gilles Couttet toujours, sur Arches. Je vous en ai donné ma lecture, reportez-vous à la catégorie "Henri Michaux", in : http://diereseetlesdeux-siciles.hautetfort.com

Voilà, pour aller vite. Ce fut avec regret que j'ai quitté Lucie Ducel, repartie dans ses contrées peu de temps après que nous nous soyons rencontrés. Elle avait vécu une aventure hors du commun, avait côtoyé parmi les plus grands poètes du XXe siècle, et, las : elle n'est plus de ce monde à présent. 


Daniel Martinez

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