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"En quoi la littérature peut-elle être un acte de résistance singulier, irréductible ?", par Marie Redonnet

Romancière, auteure de dix-sept romans, dont le premier, Splendid Hôtel, fut publié aux éditions de Minuit en 1986, Marie Redonnet a aussi été éditée par POL, Grasset... Après avoir publié Diego aux éditions de Minuit (2005), un long silence s'en est suivi, qui a pris fin avec la parution au Tripode de La Femme au colt 45 dont le sujet est le suivant : L'Azirie est tombé sous le joug d'une dictature. Lora Sander décide de fuir le pays. Sa vie de comédienne est devenue impossible. Elle prend le chemin de l'exil et rejoint l'Etat limitrophe de Santarie, munie de son colt 45, car elle a choisi de rester libre.
Les ouvrages de Marie Redonnet sont empreints d'un imaginaire puissant. Ils remettent en question le monde dans lequel nous acceptons de vivre.
Deux autres de ses recueils paraissent après La Femme..., au Tripode toujours : Héritières (2017) et Trio pour un monde égaré (2018). Le texte de réflexion ci-après a été écrit peu de temps après Villa Rosa (éd. Flohic, 1996). Voici:

 

 


Inventant dans la langue (c'est-à-dire dans l'imaginaire, dans l'idéologie, dans l'information que la langue ne cesse de propager) une multiplicité de langues singulières, la littérature provoque une secousse, un ébranlement, un choc. Elle fait surgir, par le seul pouvoir de la langue (
c'est-à-dire par ce que chacun de nous possède, la seule richesse partagée par tous), de nouvelles visions du monde, qui donnent à voir, à entendre, à rêver, à désirer, à penser autrement. Elle rend le lecteur à sa langue, à son imaginaire, à son désir, à sa pensée, irréductible. Elle délie les langues gelées, elle délivre les subjectivités prisonnières, elle ouvre les portes sur le monde. Elle est un sursaut de vie, un réveil, un appel.
Penser la littérature comme acte de résistance, c'est reposer la question de la poésie. Que deviennent les poètes, 
c'est-à-dire la poésie, quand les seuls écrivains socialement reconnus sont les romanciers ? La difficile et très problématique question des genres, dont nous sommes toujours héritiers, est-elle résolue par ce clivage, quand le roman aurait enfin fini par refouler la poésie dans les marges des marges ? Et qu'est-ce que la poésie qui ne survit que par les aides institutionnelles, coupée de tout public, c'est-à-dire de tout lien vivant avec la société ?
La poésie n'est-elle pas, hors de tout genre, la part irréductible de la littérature, cette langue dans la langue capable de produire un imaginaire créateur de nouvelles réalités agissant sur notre désir, notre relation au monde, à l'autre ? Si cette part-là, irréductible, est refoulée, comment la littérature pourrait-elle être un acte de résistance ?
Quelle place unique la littérature, en tant qu'acte de résistance, pourrait-elle prendre, dans un monde envahi par l'image, où tout devient image, y compris l'écrivain et la littérature ? L'écriture, parce qu'elle a le pouvoir d'engendrer dans la langue des imaginaires singuliers producteurs de nouvelles réalités vivantes, peut avoir le pouvoir de résister à l'irréalisation terrifiante du monde et de nous-mêmes, en train de devenir image. Ecrire, lire de la littérature, pour retrouver, par la médiation des imaginaires singuliers, la réalité perdue, pour redevenir soi-même réel, vivant, authentique.
Mais encore, pourquoi les écrivains ont-ils déserté le théâtre, pourquoi ont-ils laissé le théâtre les exclure ? La littérature, pour résister à la prise de pouvoir du roman de consommation, au refoulement de la poésie, à ses commémorations, anniversaires, panthéonisations et fêtes en tous genres, pour résister au pouvoir des médias, à l'envahissement de la communication, ne devrait-elle pas, plus que jamais, retrouver ce lieu de résistance collective que peut-être le théâtre ? Réinventer un théâtre vivant fait partie des enjeux de la littérature pensée comme acte de résistance.
Qu'est devenu enfin le pouvoir subversif de la poésie : rébellion, humour, jeu, fantaisie, liberté des rencontres et du désir, anticonformisme et insolence, qui faisait la vie littéraire française, avant que le roman de consommation ne vienne tout écraser ?
Alors avant toute chose, parce que c'est une question d'urgence, faisons, ne serait-ce que quelques-uns, de la littérature cet acte de résistance, parce que c'est de cela vitalement, dont nous avons aujourd'hui besoin.


Marie Redonnet

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