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"Premier amour", de Tourgueniev, édition Gallimard, collection 1000 Soleils, traduit par Edith Scherrer, illustrations d'Eléonore Schmid, 2/4/1975, 158 p., 15,25 F.

Pour se défaire un tant soit peu de l'image de repoussoir absolu que constituent les régimes autoritaires (avec, dernier en date, le désastre orchestré sur notre continent par le fait d'un petit bonhomme, pièce rapportée d'une autre époque), pour rejeter donc cette "culture de mort" (Jean-Pierre Boulic) que ce vingt-et-unième siècle, de mauvais aloi, véhicule deci delà
- j'ai choisi de vous parler aujourd'hui d'un roman de Tourgueniev, un auteur connu et apprécié pour son occidentalisme. Plus particulièrement, d'un ouvrage entre tous les siens, lu en mon adolescence et qui n'était pas sans rapport avec mon vécu de l'époque : "Premier amour", orné de dessins à la plume d'Eléonore Schmid, de belle facture. Et puis, surtout, au regard d'un autre monde, vraiment, empreint d'une autre allure, sans conteste... Tout illustré soit-il ici par une histoire qui se termine mal, ainsi que dans la chansonnette (Rita Mitsouko).

Né en Russie en 1818, défenseur des Droits de l'homme, Ivan Sergheïevitch Tourgueniev fut aussi à l'origine de la réforme sur l'abolition du servage en Russie (le 19 février 1861). Un auteur complet : romancier, nouvelliste, dramaturge. Fils de propriétaires terriens, il fait ses études à Saint-Pétersbourg, Moscou et Berlin. Grand voyageur, il est retenu en Russie pendant la guerre de Crimée, déjà ! (1853-1856), et sera caricaturé par Dostoïevski dans "Les Possédés", sous le personnage de l'écrivain Karmizinov. 
Ses premières œuvres écrites en 1844 sont des nouvelles ; mais c'est en 1852 qu'il sera reconnu comme l'un des premiers écrivains de son temps après la publication des "Récits d'un chasseur". Par la suite, il publia de nombreux romans.
Tourgueniev meurt à Bougival - où il s'était installé en juillet 1875, le 22 août 1883.
Dans
"Premier amour", que Tourgueniev écrivit en 1860, le narrateur, Voldemar, âgé de seize ans, s'éprend de la belle Zénaïde, mais aura droit à bien des déconvenues :

 

 

 

 

Je me mis particulièrement à aimer les ruines de la serre. Je grimpais sur le grand mur, je m'y asseyais et y restais si malheureux, solitaire et triste que j'avais pitié de moi-même, et comme ces sensations navrantes m'étaient une joie, comme je m'en délectais !
Un jour, comme j'étais assis sur le mur, que je regardais au loin et que j'écoutais le son des cloches, je sentis soudain passer sur moi comme une brise ou un frémissement, ou plutôt un souffle, comme la sensation que quelqu'un était tout proche... J'abaissai mes yeux. En bas, sur la route, Zénaïde marchait à pas vifs, elle avait une robe légère toute grise et portait une ombrelle rose sur l'épaule. Elle me vit, s'arrêta et, repoussant le bord de son chapeau de paille, elle leva vers moi ses yeux de velours.
- Que faites-vous donc là, à une telle hauteur ? me demanda-t-elle, avec un étrange sourire. Tenez, poursuivit-elle, vous assurez toujours que vous m'aimez, sautez vers moi sur la route, si vous m'aimez vraiment.
Zénaïde n'eut pas le temps de prononcer ces mots que je volais déjà en bas comme si quelqu'un m'avait poussé par derrière. Le mur avait environ deux sagènes* de hauteur. Je tombai par terre les pieds en avant, mais le choc fut si fort que je ne pus me tenir debout : je tombai et perdis connaissance un instant. Quand je revins à moi, je sentis, sans ouvrir les yeux, Zénaïde près de moi.
- Mon cher petit, disait-elle, penchée sur moi et une tendresse résonnait dans sa voix, comment as-tu pu faire cela, comment as-tu pu m'obéir... Je t'aime, je t'assure...lève-toi.
Sa poitrine respirait près de la mienne, ses mains touchaient ma tête et soudain, que devins-je alors ! ses lèvres douces, fraîches se mirent à me couvrir tout mon visage de baisers... elles touchèrent mes lèvres... Mais, à ce moment-là, Zénaïde dut deviner, à l'expression de mon visage, que j'étais déjà revenu à moi bien que je tinsse toujours les yeux fermés, et, se relevant rapidement, elle dit :
- Eh bien, levez-vous, polisson, insensé ; qu'avez-vous à rester dans la poussière ?
Je me levai.
- Donnez-moi mon ombrelle, dit Zénaïde, je ne sais où je l'ai jetée ; et puis ne me regardez pas comme cela... quelles sont ces sottises ? Vous ne vous êtes pas fait mal ? vous vous êtes peut-être piqué aux orties ? Ne me regardez pas, vous dit-on... Mais il ne comprend rien, il ne répond pas, ajouta-t-elle, comme pour elle-même. Allez à la maison, m'sieur Voldemar, nettoyez-vous et n'ayez pas l'audace de me suivre, sinon je me fâcherai, et jamais plus...

Tourgueniev

* un peu plus de quatre mètres de hauteur (ndlr)

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