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"L'influence invisible", d'Alain Suied, éditions Le Temps qu'il fait, octobre 1983, imprimé à 300 ex., 32 pages, 32 F.

En vous reportant à l'ancien blog, ma note du 7 septembre 2020 évoquait le regretté Alain Suied, qui a participé à Diérèse, comme poète autant que traducteur. C'était, en cette année 2020 de sinistre mémoire, une courte note à propos de "La lumière des origines", livre d'Alain Suied paru aux éditions Granit, en 1988. Un auteur de qualité, que fut ce poète et traducteur (1951-2008), né à Tunis (où j'ai dans le temps effectué mes études secondaires, au lycée de Mutuelleville). Brillant traducteur de Dylan Thomas, Paul Celan, John Keats, William Blake (...), mais aussi un être d'une grande modestie.  Quelque temps avant de tirer sa révérence, il devait m'écrire : 
"Le présent désenchanté et aphone que nous traversons nous amène à redoubler d'attention, d'écoute, d'espoir. Mais n'est-ce pas toujours le fardeau lumineux du poète ?
     Dans la proximité,
     Avec gratitude"
Il ajoutait que l'écriture est à entendre comme "négation positive, en ce sens qu'elle est remise en cause de soi, lueur noire comme un soleil dans la blancheur factice des normes."
Le poème ci-après est dédié à François-Xavier Jaujard (1946-1996), qui dirigeait les éditions Granit, et fut lui-même traducteur, voici :

 

 

 


Le simulacre : le réel

                                                                                                                       à François-Xavier Jaujard

 

Le simulacre où tout désir

se joue de répéter l’impossible.

Le jeu où tout simulacre

répète le même.

Sur la scène où se déploie

l’illusion

je joue à simuler

ce qui se répète dans le même : le réel.

Cette souffrance (ce savoir)

et qui se repaît de sa propre crédulité.

Ce désir (cette feinte)

et qui s’enivre de sa propre ignorance.

Un objet – non – une image :

peut- être. Une césure

entre l’un et l’autre.



Un manque.

Un nom absent.

L’impossible répétition : le même

– toujours de source.

Une loi – non – sa lettre :

peut être. Un silence

entre l’une et l’autre.

Une lumière.

Une origine oubliée.

L’impossible retour – à l’autre :

ce lieu sans source.

Sur la scène où se déploie

l’illusion de l’autre

je joue à réaliser

ce qui se répète dans le simulacre : le réel.

Cette enfance (la trace d’un savoir)

où je saisis le monde perdu

le lieu de temps

à l’aval des songes

d’où l’aujourd’hui vient

ou revit.

Cette balance (le biais d’une demande)

entre appel et réponse

entre silence et présence

entre la main et le geste

entre la bouche et la faim

cette autre bouche

ce premier sein.

Un objet – enfin – un rêve :

peut-être. Un délai

entre l’un et l’autre.

Une durée.

Un lieu aboli.

 

 

Le temps : une étoile.

Sans lieu.

Vivante et incréée.

Réfractaire à la durée.

Visible et invisible.

Fractionnée en mille éclats

blancs et noirs.

Unique, cependant.

Pierre d’un collier galactique.

Planète d’infini.

Morte et naissante.

Absente : présente ailleurs.

Présente : inaccessible.

Fermée, finie

dans un monde ouvert.

Le temps : une vague.

surgie de l'océan du feu

originel. Refoulant 

le nageur qui lutte

contre le courant du passé.

Notre parole d’aube

te couronne d’avenir.

Entre toi et moi

il y a toi et moi.

Nous jouons à être.

L’être aussi

joue de nous.

Abolit les contraires

nous moule dans un destin

singulier et commun

né du passé, né pour demain.

Nous n’existons pas

sans l'autre

qui n'existe pas

de toi ni de moi

mais de notre rencontre.

Autre et à moitié semblable.

Illusoire et à moitié vrai.

Simulé mais plus réel

que les conformismes

qui nous séparent.

Sans lieu, sans temps, sans lumière.

Une scène obscure.

Et le feu, soudain :

ton visage.

 

                                                Alain Suied

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