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"Points d'eau", un recueil de Stani Chaine illustré par 8 artistes, éditions de l'Envol, novembre 1997, 80 pages, 650 exemplaires, 120F.

Stani Chaine est né à Lyon en 1952, d’un père lyonnais et d’une mère alsacienne. Il écrit très tôt, notamment de la poésie. Il a été professeur de Lettres modernes. Il publie et mène une activité de critique d’art depuis 1985 et de commissaire d’exposition. Stani Chaine est membre élu de l’AICA (Association Internationale des Critiques d’Art). Il a participé, ou collaboré, à des revues en France et à l’étranger. Il a animé différentes émissions sur des radios libres et associatives et à la télévision. Il continue ses activités d’écrivain, de critique d’art et de commissaire d’exposition de Corbas à Alger. Le concernant, Annie Salager, poète et romancière, parle de sa « tension dans l’écriture, sous la fluidité exigeante, rigoureuse ».

... Un livre de qualité que "Points d'eau", avec cette fascination du vivant que l'on retrouve toujours chez
l'auteur, sans attaches prédéfinies, ici en quête des paroles de l'eau à l'écho des pulsions reines. Où le flux du texte passe au travers d'un prisme intérieur, d'une réalité revisitée à sa guise. Le lyrisme y a droit de cité. Qui s'en plaindrait, n'est-ce pas ?
Ainsi va la poésie, par les chemins qui sont les siens, jamais en perte de vitesse dans un monde qui la contredit.

Mais lisons plutôt Stani Chaine :

 

 

 

 

La mer est un parfum. 
Une odeur qui afflue et qui s’en vient des lunes et des dunes au doux rythme gibbeux, que refoulent et la houle et le sable et les temps. Depuis toutes les mémoires. 
Son principe est ce flux puis cette remontée, mouvement sans chaos des essences primitives. 
Elle touche au soufre des orages, offre une image au vent et sa chair et son sang. 
Tôt, l’odeur envahira la ville, sur le pont courbé du fleuve haut, venue d’eau et d’air et de poussière, loin là-haut aux terres élémentaires, au jour amer du continent. 
Elle transporte et la figue et le pin, la vigne et le benjoin, le Nil et la vanille mariés, l’ode au caillou et l’ascèse, des fêtes de Dakar, les docks de Manhattan, des cocktails du Yang-Tsé et les fleurs aux rameaux reliées. 
Elle rapporte des lointains les odeurs du mescal, les goûts du cheval, de la selle et de la boucane. Elles sont odeurs aiguës pressentant le grand large, les derniers finistères et d’autres Amériques. Aux veilles lentes et nonchalantes, la langueur de l’héliotrope et le parfum profond de tubéreuse rendent aux nuits le doux fruit des soupirs. Un blues vieux et le chant des felouques salent la fleur de tiaré et celle du calendula. 
Puis l’eau revient à l’eau, sentant seulement l’eau, mais êtes-vous vivants assez pour le sentir ? 

* * *

La mer est un bagne pour les Terra-novas à leur misère de chaque jour, à chaque jour. Ils se battent avec elle et lui parlent au masculin. C’est l’Armor. 
Et la mort serait une perpétuelle enfance. 
Quand le paysage mouvant des brumes gomme l’espace et l’appel. 
Entre l’eau et l’air.
 

* * *

La mer est un exil. 
Infini horizon sans rien qui n’arrête le regard, ni rien qui l’enferme, hors de toute paroi, hors de tout horizon. 
Et j’élis cette errance de sel.

* * *

La mer est un corps. 
Qui s’avance et se jette, vous lèche et recule, et s’en va et recommence, attiré, pourquoi ? - quand peau, l’eau glisse sur la peau qui se plisse dans l’eau.

* * *

Ce corps est une forme et jamais ne songe à partir, allant vers la fraîcheur dans le nu et l’attente, le feutre et le silence. Sans aucune mémoire. 
Lente, l’eau, lente, remonte liquide et fluide et passe dans la forme de celui qui la suit, l’épouse ou la défait, l’envahit puis l’oublie. Rampe, l’eau, rampe, s’évapore ou se mêle et jamais ne se noie, aspirée vers la terre, aspirée par le ciel encore et toujours en retour. 
Plonge, alors, plonge, et tes doigts tisseront ses cheveux, et tes doigts la sentiront qui s’enfuit mais qui fait l’immobile. 
Alors nage. Longuement, nage, pour ne pas t’avancer mais fondre dans la nage, le dos sec, au geste minimum, au tendre équilibre entre vivre et mourir. 
Et là, faudrait-il encore la plus forte violence comme une délivrance à pulvériser la mer dont je connais pourtant tous les espaces intimes

* * *

Elle s’appelle l’île, m’appelle et m’émerveille, est belle et fait luire nos langues d’un miel enfin commun. 
As-tu déjà connu la mer ? dit-elle. 
Elle parle du silence. 
Malgré l’appel et le flux et les rages, elle seule m’enfouit là où je vais naître. Pour mieux entendre de bouche à oreille et de rêve à désir. Elle connaît la parole à prendre et à franchir. 
J’ai suivi sa chaude rumeur et surpris ses odeurs. 
J’ai pris sa forme nue et gommé le tracé de mes doutes. 
Me voici assoupi et blessé, cheminant et rempli. 
Je tends mes doigts. 
Aide ! Aide !

Stani Chaine

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