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Entretiens

  • "L'Exploration par l'écriture - Entretien avec Charles Juliet", de Yves Prigent, éd. Calligrammes, 17 août 1993, 72 pages.

    Yves Prigent, neurologue et psychiatre de formation psychanalytique, s'intéresse comme thérapeute; mais aussi comme lecteur et comme écrivain, aux différents dispositifs de parole, de langage et d'écriture pour y discerner des cheminements vers une "vérité singulière", "propre à chaque sujet", l'habitant, le fondant, l'animant.

    Ecrivain et poète, Charles Juliet, qui nous a quittés en juillet 2024 est l'auteur de plus de 80 livres parmi lesquels "L'Année de l'éveil" "Affûts, "Dans la lumière des saisons. Lettres à une amie lointaine", "L'Inattendu", "Moisson" chez P.O.L., un volume paru dans la collection Poésie/Gallimard : "Pour plus de lumière - Anthologie personnelle (1990-2012)", en 2020. Il a publié son Journal en 11 tomes, des études consacrées notamment à Beckett, Giacometti, Bram Van Velde, Cézanne, des entretiens avec Pierre Soulages, Christian Bobin, Raoul Ubac, François Dilasser...
    Charles Juliet a très peu publié en revues (revue d'art TROU n° 2 et n° 19 et Diérèse 52/53, livraison consacrée à Thierry Metz, août 2011).
    Des extraits de cet entretien suivent, le premier contact de Charles Juliet avec Yves Prigent datant de mars 1990, où le quatrième tome du Journal avait été adressé au neurologue, prélude à une amitié naissante :

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  • Décembre 1950 : Michel Manoll s'entretient avec Blaise Cendrars

    Michel Manoll : Est-ce que votre père n'avait pas fondé un hôtel à Héliopolis (ndlr : en Egypte, son nom actuel est Aîn-ech-Chams), qui était un des premiers palaces ?

    Blaise Cendrars : En effet, c'est lui qui l'avait conçu et qui l'avait fait construire vers 1890...

    Michel Manoll : Vous vous amusiez à ouvrir le robinet des salles de bains pour voir sortir, mélangés à l'eau du Nil, les petits serpents et les lézards ?

    Blaise Cendrars : L'hôtel est resté vide durant vingt ans. Il n'y avait pas de clients. Personne ne venait villégiaturer en Egypte. Le grand tourisme n'était pas encore inventé à cette époque-là.

    M.M. : Avec un père velléitaire comme le vôtre, vous avez beaucoup déménagé.

    B.C. : Bien sûr...

    M.M. : Passant de l'Egypte en Italie, puis à Paris, à Londres, tantôt dans des demeures de riches, tantôt dans des logis de pauvres...

    B.C. : Que voulez-vous ? Mon père était un inventeur. Le propre d'un inventeur, c'est d'inventer. Mon père inventait des trucs, tenez : les lettres de cristal des devantures des magasins, les premières enseignes lumineuses, le char romain qui courait sur la façade de la maison qui fait le coin de la rue Taitbout et de la rue Laffitte sur le boulevard, des appareils à sous. Il touchait à tout, il bouillonnait d'idées. C'était un fantaisiste et un impatient. Tous les problèmes l'amusaient. Il avait débuté dans la vie comme professeur de maths. Il était rigolo. A la maison, chaque porte était munie d'un dispositif qui permettait de l'ouvrir avec les pieds, et je me surprends encore aujourd'hui à vouloir ouvrir une porte avec les pieds... C'était un précurseur, mais c'était aussi un réalisateur. Il a inventé la première machine à tisser automatiquement les tapis de Smyrne, y compris le stop, cette touffe de cheveux que les ouvrières nouent au bout de leur enfilée de laine en fin de journée pour marquer la reprise de leur travail du lendemain. Il aurait dû faire fortune avec cette unique invention. Mais dès qu'il avait fait une invention, papa n'avait qu'une seule hâte, c'était d'en faire une autre, si bien qu'il n'exploitait pas la première, se dépêchant de vendre ses patentes et de liquider ses droits pour se procurer de l'argent frais et mettre au point la nouvelle invention qui lui trottait par la tête. Et c'est pourquoi il a connu tant de hauts et de bas, dont nous subissions les contrecoups à la maison sans jamais savoir au juste d'où cela venait. Alors je gagnais peu à peu la rue, au grand désespoir de maman.

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  • "Entretiens avec Eugène Ionesco", de Claude Bonnefoy, éditions Pierre Belfond, 224 pages, 10 mars 1966, 9,25 F.

    Qui est Claude Bonnefoy ?, mort en 1999, à tout juste cinquante ans : Claude Bonnefoy fut un critique littéraire. Il a collaboré à plusieurs revues, a animé des collections littéraires et écrit de nombreux ouvrages.
    Il est en khâgne à Louis-Le-Grand lorsqu'il obtient le prix Paul Valéry de poésie en 1948. Après quelques années dans l'enseignement, il se consacre au journalisme, d'abord à Arts, puis à La Quinzaine littéraire dont sera membre du comité de rédaction durant plusieurs années et enfin aux Nouvelles littéraires. Il a également crée ou animé des collections : L'Univers des livres aux Presses de la Renaissance, Entretiens chez Belfond ou Les Inoubliables chez Garnier.

    Quant à Eugène Ionesco ?, il a préféré à l'occasion de la sortie de ce livre, signifier à son éditeur que "en vous résumant ma vie, j'aurais peur de me tromper tandis que les dictionnaires me prêtent une histoire objective que je ne puis que respecter." C'est donc un extrait du Dictionnaire Universel des Lettres (éditions Laurent-Bompiani, 1961) où il est ainsi présenté :
    Eugène Ionesco (né en Roumanie, 26/11/1912) passa son enfance en France et y fit une partie de ses études. Rentré en Roumanie, il devint professeur de français au lycée de Bucarest (1936), puis décida de venir préparer son doctorat ès Lettres en Sorbonne. En 1938, il renonce à préparer sa thèse et s'établit en France. Il s'imposa très rapidement au théâtre.

    Voici pour vous un extrait de ses fameux Entretiens :

     

    Claude Bonnefoy 
    Comment travaillez-vous ? Avez-vous besoin d’un horaire? d’un cadre précis, de stimulations extérieures ? 

    Eugène Ionesco 
    C’est très variable. Je n’ai pas de règle, pas de méthode. J’ai des caprices, c’est-à-dire que tantôt j’écris, tantôt je dicte. Il y a des périodes où je retrouve un certain calme, alors, à ces moments-là je travaille tous les matins de neuf heures à midi, de neuf heures à une heure. Écrire, en somme, ce n’est pas du travail… Je considère qu’il est bien malheureux d’exister. Je considère qu’il serait encore plus malheureux de ne pas être. Mais parmi les gens qui existent, je suis l’un des plus chanceux. Je suis plus favorisé que les rois puisque les rois eux-mêmes travaillent, alors que moi je puis aller où je veux, quand je le veux, avec un cahier et un crayon ; je ne dois pas signer de feuille de présence (j’en ai signé autrefois, et je sais ce que c’est !). J’ai donc l’impression que je suis un enfant boudeur, que j’ai mauvais caractère, que ce n’est pas gentil de ma part de vivre ainsi mécontent. Alors qu’il y a des gens qui se font la guerre, que l’on se tue, que d’autres meurent de faim, que d’autres travaillent pour vivre, moi je vis. Pourtant on peut dire que je ne travaille pas et on peut dire que je travaille. Les deux choses sont vraies l’une et l’autre. Je ne travaille pas puisque je peux, en apparence, faire tout ce que je veux et en même temps je suis esclave des mots, de l’écriture et écrire est vraiment une chose pénible. En fait, si j’écris, c’est grâce au sentiment de culpabilité, parce que je suis porté à ne pas écrire, à ne pas soulever de fardeau, à ne pas travailler enfin. Il me faut des mois d’accumulation pour pouvoir travailler un mois. Ces longs mois d’accumulation, qu’est-ce que c’est ? C’est l’envie de travailler, la tristesse de ne pas travailler, la peur de rater ma vie comme si en écrivant on ne la ratait pas, la pensée que des gens sont en train de mourir de faim ou de se faire massacrer pendant que moi je me balade à Montparnasse. Enfin tous ces remords font une sorte d’accumulation d’énergie et au bout de plusieurs mois je réussis à avoir suffisamment d’énergie pour un mois. Il faut que je finisse la pièce en un mois ou deux parce que si cela dure plus, c’et fini, la fin de la pièce peut être ratée parce qu’il n’y aura plus d’énergie en moi. 

    C.B. 
    À ce moment-là, vous travaillez combien d’heures par jour ? 

    E.I. 
    Une heure, une heure et quart, une heure et demie, deux heures par jour. Quelquefois je travaille même durant quatre heures, mais cela n’est pas du vrai travail, parce que le reste du temps je fais de la correspondance. 

    C.B. 
    Et durant les autres heures de la journée, que faites-vous ? 

    E.I. 
    Je me repose. 

    C.B. 
    Vous pensez à votre pièce ou non ? 

    E.I. 
    Oui, j’y pense. Puis je me repose, je fais des mots croisés parce que les mots croisés permettent de penser à tout autre chose… ou de ne pas penser du tout. 

    C.B. 
    L’écriture de la pièce vous libère-t-elle de cette culpabilité que vous ressentez pendant vos périodes d’accumulation ? 

    E.I. 
    La notion de culpabilité ne peut pas s’éteindre avec la création. Quand j’écris, je me sens encore coupable, car je fais quelque chose de finalement très vaniteux et inutile à quinze cents millions d’humains. 

    C.B. 
    Certains de vos personnages, je pense par exemple à Choubert dans Victimes du Devoir, à Amédée, ou même à Jean dans La Soif et la Faim n’héritent-ils pas de ce sentiment de culpabilité ? 

    E.I. 
    Ce n’est pas de la même culpabilité qu’il s’agit. 

    C.B. 
    Une pièce comme Rhinocéros n’implique-t-elle pas une extension de la notion de culpabilité à la notion de culpabilité collective ? 

    E.I.
    La collectivité ne se sent pas coupable. La foule qui se déchaîne, qui lynche ne se sent pas coupable. L’individu seul réfléchit, peut ou non se sentir coupable. 

    C.B. 
    Je vous ai demandé tout à l’heure si le fait d’écrire vous libérait de votre sentiment de culpabilité. Vous m’avez répondu : "Non, c’est lorsque j’écris que je me sens le plus coupable." Mais écrivez-vous sans ce sentiment de culpabilité ? 

    E.I. 
    On parle trop de la culpabilité. Peut-être que tout ce que nous venons de dire à ce sujet est aux trois quarts faux. Je suis moi aussi victime des idées reçues. Disons plutôt que j’écris par angoisse ; par nostalgie … une nostalgie qui ne connaît plus son objet ; ou qui, se fixant sur un objet, se rend compte que sa cause est ailleurs. Mais où ? 
    Pour ce qui est de la culpabilité, pourquoi en avoir ? On peut avoir de la pitié, regretter de ne pas pouvoir sauver l’humanité… mais je n’ai pas fait du tort au monde. Que les geôliers, les justiciers, les tyrans, les violents, les cyniques, les sourds, se sentent eux d’abord coupables… pour moi, je verrai après. »

     
                                                                                                           

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