"La guirlande des années", André Gide, Jules Romains, Colette, François Mauriac, éditions Flammarion, 94 pages, 15/7/1956, imprimé à 500 exemplaires
Un beau livre sur papier Madagascar, qui voit reproduites 25 miniatures des XIVe et XVe siècle. Un ouvrage collectif, dont les quatre auteurs pressentis illustrent, chacun à sa manière, le rythme des saisons, depuis le Printemps, avec André Gide, jusqu'à l'hiver, avec François Mauriac.
En ces temps plutôt frisquets, je vous propose un extrait d'"Eté", par Jules Romains, un romancier dont je vous ai déjà parlé le 17 juillet passé dans le présent blog, reportez-vous à la rubrique "Auteurs". A l'heure où la sonde Parker Solar Probe, lancée en 2018, va frôler ce jour même la couronne solaire à 700 000 km/h, sous une température de plus de 1400 degrés, avouez que cela a de quoi nous réchauffer le cœur !
De mon côté, je viens de terminer la maquette de Diérèse opus 92 et, une fois n'est pas coutume, je vous en communiquerai la couverture, en avant-première : le numéro sortira des presses de l'imprimeur le 25 janvier, à suivre donc. Elle totalise 328 pages, comme les deux précédentes livraisons.
Vous souhaiter, à toutes et à tous, en ce 24 décembre, d'heureuses fêtes !
Voici donc, [maintenant que nous voilà entrés dans la phase où les jours vont commencer à rallonger
(à quand l'heure d'été applicable toute l'année durant ?)] :
Je suis né en été, vers la fin de la canicule. Je me demande s’il ne s’établit pas quelque lien assez intime entre la saison où nous sommes nés et nous-mêmes. Pour ma part, l’été fut toujours plutôt favorable. J’en éprouve comme un autre les désagréments et les malaises. La violente chaleur ne me fait pas plaisir. Je n’aime pas les temps orageux. Mais c’est en été que j’ai travaillé, que je travaille encore le plus, et le plus facilement. Si mon corps tout seul avait à donner son avis, il se plaindrait peut-être autant de l’excès de chaud que de l’excès de froid. Mais le froid, même lorsqu’il ne règne qu’au dehors et que j’en suis séparé par des murs et des vitres, m’insinue volontiers une paresse, un engourdissement, un penchant à la rêverie passive, à la mélancolie somnolente, et c’est alors à la vie sociale que je m’adresse pour me secouer ; tandis que le fort de l’été coïncide pour moi avec une activité de l’esprit lucide et abondante, le besoin le plus vif de produire et l’illusion que les moyens m’en sont offerts généreusement. Une bonne partie de ce que j’ai fait est l’enfant comme moi de la canicule. La chaleur, en même temps qu’elle m’incommode, m’excite. Et sans doute l’air des semaines orageuses est-il parcouru de fluides auxquels la pensée s’abreuve comme à de subtils robinets d’alcool.
À mes yeux l’été n’a aucune peine, j’ajouterai volontiers aucun mérite, à être la saison "préférable". Il est vrai que je lui taille largement sa part. L’été du calendrier me paraît une convention d’astronomes. Il répond à des considérants d’une simplicité toute théorique, et il ne se préoccupe nullement de coïncider avec l’ensemble d’impressions riches, confuses, chevauchantes et sans commune mesure entre elles, qui de détache de notre expérience d’êtres vivants et d’hommes, pour former notre sentiment de l’été. Il est fâcheux que le langage se soit laissé intimider sur ce point par l’astronomie.
Qu’est-ce que l’été pour nous autres hommes ? Un certain rendez-vous de chaleur, de lumière, de jours longs, de végétation bien installée, de puissance relativement étale et tranquille, à quoi se joignent pour l’homme des villes, le dégoût des lieux clos, l’appétit de la nature et l’idée qu’il a mérité des loisirs. Les participants de ce rendez-vous n’y arrivent que les uns après les autres. Quelques-uns parfois se font longtemps attendre ou ne font qu’entrer et sortir. Car il y a hélas ! des étés manqués. Mais les limites du rendez-vous sont assez larges. L’été dans nos climats me paraît être une saison de quatre mois qui commence avec juin pour finir avec septembre.
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