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"Sombre comme le temps", d'Emmanuel Moses, éditions Gallimard, 120 pages, 5 mai 2014, 14,50 €

Aux derniers jours de l'automne 2012, cette rencontre avec Emmanuel Moses dans un café face à la gare de l'Est, à Paris vous l'aviez deviné, un Bloody Mary entre les mains de votre serviteur. A brûle-pourpoint évoqués ses entretiens à France Culture, la place des femmes dans la poésie contemporaine, le vécu de la poésie... avant de nous diriger vers la librairie La Lucarne des écrivains dans le dix-neuvième où l'attendait le maître des lieux pour de fructueux échanges croisés, et, mentionnée au passage, sa participation à la revue Diérèse. Le numéro 62 devait publier de l'auteur un ensemble de poèmes regroupés sous le titre "Ivresse" (pages 90 à 105). Ainsi va.

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Ci-après, le poème qui ouvre le livre Sombre comme le temps :

 

 

 

Hymne à la réalité
et l’irréalité des choses 
                                                                                                                   Pour Jonas et Laura



Tout est loin. Le brin d’herbe et la campanule comme le sommet enneigé
Au dessus du lac d’un vert froid
Tout est loin. La fumée d’un feu invisible, dans une vallée adjacente
Le nuage qui ressemble d’un côté à une baleine et de l’autre à une tortue
Le tintement des clochettes au cou des bêtes à l’alpage
Et le cri d’un oiseau, unique, énigmatique, entaillant brièvement le silence parfait
Oui, tout est loin. L’arc-en-ciel, au sud, vers la mer
Le busard dont les voltes hypnotisent le regard
L’avion qui ressemble à une cigogne
Entre deux destinations inconnues
Et l’ombre des chalets, l’ombre des grands arbres, l’ombre des montagnes :
Bleue ou noire, elle pose sa forme découpée sur la nature vague mais l’inverse
N’est pas moins vrai.
La nuit, après le dîner où l’amour et le vin, où la parole, le rire éclatent comme
Des parfums, comme des danses enchanteresses
La porte-fenêtre est poussée par une main ou l’autre
Et sur la terrasse qui domine le fleuve, qui domine les paysages
Aux multiples lumières, le long des routes, dans les bourgs et les villes
Au petit bonheur des habitations isolées
Sur la terrasse autrefois envahie par les écureuils affamés et aujourd’hui
Par les moineaux
La tête inclinée vers l’arrière, l’œil et l’esprit s’ouvrent aux étoiles
Ici, nul n’en connaît les noms, et guère plus ceux des constellations auxquelles
Elles appartiennent
La distance entraîne l’imagination qui semble alors à l’étroit
Dans l’enfermement du corps, dans les limites de la conscience
Qui veut prendre son essor et s’envoler tel un vaisseau spatial
Ou une créature appelée par l’immensité
"Tout est loin" semble chantonner une voix qui est peut-être celle d’un ange
"Tout est loin" reprennent en chœur les flux de l’air
Comme les étoiles resplendissent ! Comme la buée de la voie lactée creuse le néant !
Les étoiles mortes depuis longtemps évoquent les palais abandonnés de l’Inde
Ceux du Madhya Pradesh ou de Bénarès
Chaque étoile est un palais de lumière morte
Que visite l’âme éternelle pendant un instant de liberté
Les étoiles dont la pluie rayonnante s’est figée pour toujours
Entonnent chaque nuit pour ceux qui sortent les contempler
Un cantique : Tout est loin

Emmanuel Moses

 

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