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"La Foudre", de Lydie Dattas, éditions Mercure de France, 128 pages, 14,50 €

Par Christian Bobin

Il n'y a de vérité que dans l'élan.


Dix ans après, allégée de sa cargaison d'adjectifs, la barque d'or de "La Foudre" accoste au rivage des librairies. Montons à bord. En dix ans le monde s'est enténébré et les visions délivrées par cette écriture sont porteuses de remèdes. "Pas moi" fut la parole de la fillette de quatre ans quand sa mère actrice, décidant de commencer une carrière en Angleterre, emporta toute la famille dans la tornade de son angoisse. La grande sensibilité n'est parfois pas séparable de la grande psychiatrie. L'exil frappa au cœur ses trois enfants couverts de dons, et son mari, compositeur, titulaire du grand orgue de Notre-Dame que par amour il quittera. La petite "Pas-moi" grandit à l'intérieur de ce faux calme qui est au centre d'un cyclone. Elle y vole de merveilles en merveilles : son goût surpuissant de la vie fait d'elle l'héroïne du premier livre cartonné qui l'a éblouie, "Les Mille et Une Nuits". "La Foudre" est "Les Mille et Une Nuits" en miniature. "J'aimais tellement la vie, dit Lydie Dattas dans son "Carnet d'une allumeuse", que j'aurais pu en mourir. Percé de soleil rouge mon verre de grenadine m'était une Sainte-Chapelle." Elevée dans le froid des églises sous les stalactites des orgues, elle sera attirée par l'archétype contraire, un antidote : le Cirque d'Hiver de Paris.

 

 


La vie est cette toupie dont les couleurs, sous la puissance de sa vitesse, changent et se fendent sans cesse. Il n'y a de vérité que dans l'élan. Miracle du simple, du simplifié, de l'absolu : une vie serrée dans peu de traits, une guerre menée par l'esprit contre la froideur du monde et de la technique, une quête altière et humble de la vie la plus haute. L'élan de la jeune poétesse, le resserrement de ses phrases comme de ses yeux sur l'adversaire ou l'ami, éclaboussent de lumière ce qu'elle écrit. Tous, toutes, de ses parents, de sa tribu, aux pharaoniques Bouglione dont elle épouse un fils, Alexandre. Tous se trouvent par la puissance de transfiguration de cette écriture qui parcourt toutes les phrases comme l'électricité un fil dénudé, soulevés au-dessus de leurs ombres, ressuscités en gloire avant même leur mort. La poésie est la seule drogue qui n'efface pas le réel mais le reconnaît pleinement, nimbé d'absolu, qu'il soit paradis ou enfer. Si elle s'éprend du jeune Gitan, c'est pour l'arracher au spectaculaire du cirque Bouglione, et le rendre à sa vie primitive de fils du soleil. A leur séparation ils auront échangé leurs dons : au fond de sa caravane Alexandre* se découvre poète, et Lydie voyageuse.
La construction de ce livre est celle d'un jeu de cartes en éventail. Un chapitre sur l'enfance suivi par un chapitre sur les Gitans du cirque et leurs chevaux d'apocalypse, à nouveau l'enfance, puis le cirque, etc. Un jeu de tarot pour l'âme, un bloc d'illuminations dont chacune suffirait pour justifier une vie. La vie, le simple fait de vivre, est sacrée. Lydie Dattas admirera chez Umm-el-Banine Assadoulaeff, amie de Jünger, son courage et sa joie de vivre. Elles deviendront intimes. Dans ses tout derniers jours c'est à Lydie que Banine confiera son ultime pensée sur la vie : "Combien il faut souffrir pour avoir le droit de mourir !". "Je sauve ce que je peux", me dit Lydie un jour, hors de son livre. Ce qu'elle sauve de sa vie, c'est la fraise, le rubis de la fraise sauvage non truquée. Comme disait Rimbaud : "De gloire secrète, environnez-moi !"

 

Christian Bobin


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* Ndlr : Alexandre Romanès est poète, directeur de cirque, luthiste baroque, équilibriste et dresseur. Il a choisi la vie libre et nomade du cirque itinérant qu’il a fondé. Véritable poète de la vie gitane, il apprend à écrire pour publier ce qu’il vit et ce qu’il ressent. Deux ouvrages récents ont été salués par la presse : Un peuple de promeneurs et Paroles perdues (parus aux éditions Gallimard).

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