Jacinto Luis Guereña, une vie en poésie
Poète et critique littéraire espagnol (Buenos Aires, 1916 - Madrid 2007), Jacinto Luis Guereña arrive en France après l’effondrement de la République en Espagne, après avoir connu les camps d’internement. Libéré, il occupa divers postes en temps qu'enseignant : à Pau où il fonde la revue Méduse (1945-1947), puis à Toulon. Le poète espagnol lègue une œuvre lyrique dense. Ses premières œuvres furent publiées en français, notamment L'homme, l'arbre, l'eau (1945), Mémoire du cœur, Paris (1953), Loin des solitudes (1957) ou Guitare pour la nuit (1958). L’œuvre poétique en langue espagnole est cependant la plus significative ; on peut citer : Pour un manifeste (1976), L’Office du regard (1990), Poèmes contre poèmes (1992), Oubli d’une mémoire (1995), L’Imprudent midi (1998), Corazón de miedo y de sueños : (Anthologie 1946-2001) Renacimiento, Séville, 2013.
On lui doit aussi des traductions en espagnol de Jules Supervielle, René Guy Cadou, Verlaine et Baudelaire. Ainsi que des collaborations en revues, comme La NRF, Esprit, Diérèse, La Tour de feu, Europe, Iris, Artère, Le Temps de la poésie...
Les traductions de poèmes qui suivent sont extraites de El oficio de la mirada (Seuba Ediciones, Barcelone, 1990).
El sol cruza por rostros y esquinas,
también travesía de perros y en lo alto las gaviotas,
camino ciudad adentro con tatuaje de los años,
rebeldia de convicciones en espejos de penumbra,
no hay árboles y sólo es invención el sosiego,
en su sombra, sólo hay descanso bajo la piedra,
erguidos soportales con racimos de recuerdos,
hay quienes los van deshilando y así sueńan,
si se interroga al molino dice que sus ruedas no hablan
y que ya no fluyen luces de su mediodía,
aquellos veranos se enerdecían en proa de miradas,
llenaron de llamas miles de pasiones,
ya veis la fuente solar, desvaniéndose
cuando el día resbala y cae.
* * *
Le soleil baigne visages et coins de rues,
de plus une ruelle pour chiens et au-dessus, des mouettes,
je marche à travers la cité avec le tatouage des années,
révolte des convictions dans des miroirs de pénombre,
il n’y a pas d’arbres et la quiétude n’est qu’invention,
en son ombre, seul existe le repos sous la pierre,
arcades érigées par des grappes de souvenirs,
il en est qui, les effilant, dès-lors rêvent,
si l’on interroge le moulin, il déclare que ses meules ne parlent pas,
et qu’aucune lumière ne filtre de son midi,
ces étés embrasent le mordant des regards,
dévorent de flammes mille et mille passions,
et vous verrez le foyer solaire s’évanouir
quand le jour décline et tombe.
* * *
Unanime, en su caos, ese vértigo
de razones y de dudas.
Activa, la confidencia
se encara a los confines amargos
de la nostalgia.
Se deja hechizar por los fulgores
de las cosas,
por el corazón de las emociones.
La sangre se acalla, inhóspita
y oculta,
busca grietas en el silencio.
Algo se abre en la mirada,
trigos soleados y crecidos,
rostros de hierba transparente.
Todo sestea de cansancio,
Todo es vulnerable y despierta.
Geografía del cuerpo
bajo cualquier tormenta.
Amalgamado, en sus herencias, el árbol
delira,
se juega la vida,
es vuelo y fuego,
crea fruta y la ofrece,
interminablemente.
Referencia fiable.
* * *
Unanime, en son chaos, ce vertige
de raisons et de doutes.
Active, la confidence.
Elle affronte les confins amers
de la nostalgie.
Elle se laisse envoûter par la brillance
des choses,
par le cœur des émotions.
Le sang se fait silence,
inhospitalier
et occulte,
il cherche des fissures dans le silence.
Quelque chose s’ouvre dans le regard,
blés ensoleillés et généreux,
visages d’herbe transparente.
Tout sommeille de fatigue,
tout est vulnérable et s’éveille.
Géographie du corps
sous n’importe quelle tempête.
Incorporé à ses héritages, l’arbre
délire,
joue sa vie,
il est envol et flamme,
il engendre des fruits et les offre,
indéfiniment.
Fiable référence.
* * *
Yo me reconcilio con la lumbre
que en las heridas florece.
La amenanza duerme en los surcos,
en la arena se desmorona,
empobrece sus raíces
en la fijeza fugitiva del tiempo.
Todo se estremece
en las cuatro esquinas del día.
La luz se quiebra suavemente
y en mi asombro se serena.
Acaso verdictos de otoño palpitante.
Sed que no se enfrenta al estío.
* * *
Je me réconcilie avec la lumière
qui dans les blessures fleurit.
La menace dort dans les sillons,
dans le sable s’écroule,
appauvrit ses racines
dans l’immobilité fugitive du temps.
Tout tressaille
aux quatre coins du jour.
La lumière se brise avec douceur
et à mon étonnement s’apaise.
Peut-être verdicts d’un automne palpitant.
Soif qui ne brave pas l’été.
Jacinto Luis Guereña
El oficio de la mirada, 1990
Traduction Pacôme Yerma