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Trois études d'oiseaux, Daniel Martinez

C'est en hommage à Robert Marteau que j'ai écrit ces "études" d'oiseaux, oui, de ce poète qui écrivait chaque jour - en marchant, disait-on, un sonnet. J'ai de longue date nourri de l'affection pour le monde animal, avant toute chose parce qu'il nous a précédé dans notre vie sur terre et que nous lui devrions quelque respect, même si l'évolution de notre monde va à peu près à l'inverse.
... La revue Diérèse est née avec en ses pages une part conséquente accordée aux animaux de toutes sortes, sans a priori. Elle a pris ses marques - ne serait-ce l'enjeu de la poésie ? - à partir d'un rêve éveillé en quelque sorte : que l'on pourrait admirer sans blesser ce qui nous entoure (et pour le coup prendre garde de n'en pas exclure l'espèce humaine qui n'a de cesse de s'entre-déchirer depuis l'aube des temps pour s'approprier quelques lopins supplémentaires, au détriment du voisin). Bien plutôt le revoir, ce monde, si possible (...) dans sa beauté primitive, reprendre forme sous les plis bienveillants de la muse, ceux de la jupe évasée d'une extatique déployée dans l'empyrée.

Pour vous, ces trois extraits du Monde des oiseaux :

 

 

La buse pattue


Voici monter, avec de doux froissements d'ailes
la buse pattue au-dessus des bouleaux
dans la clarté d'aube dont le nimbe ordonne
les déchirements successifs de la lumière
au détour du vallon, de ses formes à venir.
Est-il besoin de nos yeux pour voir
ses tarses emplumés comme les aigles vrais
ou deux fois le jour border de blanc
la barre sombre qui raye sa queue
ainsi qu'entre deux rêves la nuit vient s'immerger
touchée d'un faisceau d'ondes impalpables ?,
déjà, bien avant d'être devenue
celle qui par les grands fonds de l'air allie
l'armure niellée aux floconneux duvets.

Sous l'étoilement des cristaux volatils
sa grâce en dissipant l'étendue des signes
aura su figurer une noblesse coutumière : 
insoucieuse de ce qui l'anime, folle compagne
livrée à de lointains étages dont le passage
d'ici-bas nous est interdit, repère silencieux
devant sa propre image, imprononçable
bien que juste au bord des lèvres 
comme à vouloir décrire d'un mot
le sujet infini de la plainte des amants.
Surtout il lui faut, à l'oiseau de proie, dépayser l'indifférent,
glissant glacé, éclipsant pour se nourrir
le dernier soupir de la perdrix accaparée 
emportée sans crier gare vers une crypte 
ornée de hardes, de lichens bleus et jaunes.

* * *


La sterne Pierre-Garin


Ce que l'Indre charrie en grèves de sable blond,
sous de pauvres splendeurs nous réserve 
une part d'imprévu, un rebord où le ciel
se laisse aller dans l'idée du nombre
dans la chambre d'échos par lequel le monde
se divise sans fin en formes informes
sous les métaphores filées d'invisibles Parques.
Pétales secs ou luisants d'eau, ils sont découpes
de fragments projetés dans l'imaginaire
qui nous irrigue continûment au beau milieu
d'une nature oublieuse de sa vie propre.
Culminant en gloire, des kirr, kirr-kirri stridents
et guère plus grosse qu'une tourterelle des bois
la sterne Pierre-Garin porte à l'évidence
sous la moire d'ailes gris clair
le chiffre du voyage, l'empreinte d'une migration
dont le prélude nous échappe.

De coquilles, d'herbes et de morceaux de bois
son nid est une sorte d'astre chu
où viendront s'enfouir les nouveau-nés
dans l'attente de quelque équille.
Le pastel matinal hausse sa silhouette 
dans un univers intérieur où tout
déteindrait sur tout, et soi-même sur soi
.

* * *


L
'aigrette neigeuse


Précieuse elle exhibe spontanément
cette facture lisse froide quasi photographique
d'un plumage blanc pur, manière d'apothéose.
Et quand bien même l'herbe fume
l'aigrette neigeuse, toute en sa vivacité
jamais ne discrédite l'Illusion
bien plutôt nous renforce dans le sentiment
que la buée bleue qui lui est donnée de voir
arriverait à dénouer chacun des termes de la contradiction
de l'espèce humaine noyée en ses errements 
- en un seul battement d'ailes, qui confère à sa parure
la force d'une nécessité, magnifiée dans l'instant.
L'orientale calligraphie de fines plumes
jaillies de la tête, du cou et du dos
disent à leur manière,
pendant la saison de nidification
l'émoi des deux partenaires.

Un ciel couleur de pêche, sur le marais
où se défait le pourpre liséré de fleurs d'eau
érode la fragilité du dieu, l'enfance si peu lointaine.
Quel saisissement d'avoir ainsi reconnue
pour telle la douleur de l'oiseau rare
qui se vit massacré pour l'ondoiement de ses plumes.
Une réconciliation se célèbrerait-elle
avec la nature dans sa majesté
au regard d'une humanité dépassée
par l'objet de ses désirs où poignent
d'autres enjeux dont la transparence 
devrait à cette heure l'effrayer ?


Daniel Martinez

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