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"La voix dénouée", Daniel Martinez

Le tout récent envoi d'un poème de Paul Cabanel, un auteur de Diérèse, me donne envie de vous soumettre ce texte de mon cru, élégiaque aussi bien qu'inédit, daté du 4 avril 2011 - sans y apporter de retouche. Il faut vous dire que, depuis le 24 février, écrire des poèmes m'est des plus difficiles s'il faut bien par là confirmer, à l'instar des éditions L'Amourier, la gêne (a minima) éprouvée à leur donner audience par ces temps de guerre, où s'amoncellent les morts, les vies brisées.
... Le roman ne serait-il dans les circonstances plus admissible ?, je me suis donc plongé dans "Arthur Cravan n'est pas mort noyé", de Philippe Dagen (Grasset, août 2016) dont la presse littéraire de l'époque n'a pas fait ses choux gras. Ou bien encore, ici et maintenant, approcher de plus près les arts plastiques ?, au Musée d'Art Moderne de Paris
l'exposition Toyen emporte sous son aile un petit Tanguy peint sur carton qu'il lui a dédicacé en 1935, remarquable. Sachant que cette œuvre n'a pas été recensée dans le catalogue complet établi par Kay Sage, l'épouse de Tanguy - qui se suicida par balle en 1963, quand elle eut terminé la rédaction dudit catalogue.
L'occasion de vous rappeler que le premier livre de Pierre Dhainaut,
"Mon sommeil est un verger d'embruns", a été illustré par cette artiste majeure de la sphère surréaliste, Toyen - elle crée avec Jindrich Styrsky "l’artificialisme", se réclamant d’une totale identification "du peintre au poète". Sans oublier de consulter, de Sabine Dewulf, "En regard, à l’écoute, La poésie de Pierre Dhainaut à travers les livres d’artiste" (éditions invenit, 2021).

peinture sur carton de Yves Tanguy dédicacé à Toyen en 1935  9 x 12,5 cm MNAM.JPG

Peinture sur carton d'Yves Tanguy, 9 x 12,5 cm, col. particulière

Et puis, folie des temps présents, la mise à prix par la maison Christie's le mois prochain d'un portrait de Marilyn Monroe "peint" par Andy Warhol à 180 millions d'euros - qui deviendrait ainsi l'œuvre d'art du XX e siècle la plus chère jamais vendue - me laisse pantois.

La maquette de Diérèse 84 avance, cette livraison comptera 320 pages (celles et ceux à qui je n'ai pas envoyé d'épreuves seront publiés in Diérèse 85). Il me reste, entre autres (...) à finaliser la couverture, après l'achat en début de semaine de deux tubes de couleur (blanc de zinc et crème d'acrylique papaye). Le dossier Werner Lambersy (Cahier 1) couvrira les pages 49 à 101, avec des inédits de l'auteur de "Maîtres et maisons de thé" et les textes que huit auteurs ont écrit pour lui rendre hommage. Un autre Cahier intitulé "Bleu vif" regroupera des études sur les poètes Angèle Paoli, Marie Alloy, Jean-Claude Pirotte et Georges Perros. Le titre de la livraison ? "Chemins d'écriture". Ne m'en demandez pas plus pour aujourd'hui. A bientôt !, amitiés partagées, DM

  

 


La voix dénouée

 “Je te parlerais dans ta bouche”   
          Arthur Rimbaud
     
                                                                                                   

Toujours il y eut en nous ce dessein
qu’évoque l’abeille dans l’air de son vol
l’esprit de la lune que le temps fait pâlir
mais plus joyeux plus légers plus vibrants
des cycles des cercles des ondes
et le bruit d’un ruisseau abondant
au point de former parfois de petites cascades
dans la prairie que longe ce chemin
une combe sauvage qui prendrait par la main
le fil de l’horizon le fil de nos vies
ce qui reste après que les paroles ont creusé
en elles le souffle humide du poème
au croisement des feux couleur craie
soleil épure preghiera nell’orto
et que les augures nous sont acquis

Toujours il y eut en nous thrène cantilène
avec les mûres d’automne en étoiles
striant net l’orchis guerrier
entre quatre épingles bleues c’est l’enfance
qui à jamais nous fera signe ou bien encore
bijou qui sortait de terre à la surface ramenée
de ce qui est de ce qui n’est pas
jusqu’à celui numismate dont me parlait celle
au soir d’été comme un rébus dans sa paume laissé
quand il a quitté ce monde parmi les astres
dans l’oblique repos de l’ombre
où l’œil s’étire loin de l’humus et de la ronce
et que le poème en son entier de soi
dit l’arbre de la vie dont les branches effacent l’ombre

Toujours il y eut en nous désir
sur le sable sur l’herbe comment graver
le goût des aciers la douceur
ensemble confondus malhabiles les sens
où l’automne glissera la main
oui à l’intention seule
qui se rit du temps de toute terre délabrée
et qu’importent toutes les mesures
lorsqu’elles seraient communes
ce lieu du regard dans le corps physique de l’arbre
laisse pousser des branches qui traversent le jardin

Le jardin sa chevelure ses pointes de feu
et j’entends dix mille étincelles semer de l’or
sur les deux plateaux de la balance
qu’importe d’où jaillit la force qui nous élève
avec le jour qui se déplie ses muscles au repos
ses muscles en mouvement et dont chacun de nos gestes
s’inspire dans la clarté poreuse en son apposition
toutes choses respirées résine dans le bois
lignes dans la voix sans âge des lendemains
parmi les brouillards et les champs
parcourus par les herbes mangés de l’intérieur
elles inclinent au dessin et font éloge
de l’étroite palette où l’entière gamme
des tons ocre se joue du beige clair au brun noir
en passant par le brique la terre de Sienne
au sépia au terre d’ombre et sur un pan de toile
brosse les rives longues la plénitude limpide.

Daniel Martinez                                                                                                   

 

 

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