Diérèse et Les Deux-Siciles
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Considéré comme un roman mineur de Cronin, Deux sœurs n'en mérite pas moins le détour, servi qu'il est par l'excellente traduction de Jane Fillon. Car les multiples rebondissements de l'intrigue démontrent s'il en était besoin que rien n'est joué d'avance, que tout peut basculer, par la volonté de l'auteur et son refus de simplifier les tenants et aboutissants, dans une vision non manichéenne des rapports humains. Cette vision éthique du romancier a mes faveurs, celle d'un auteur découvert dès l'adolescence avec Les Clés du royaume. Voici ce que ce livre, Deux sœurs, met en scène, dans le milieu médical, sans oublier que A. J. Cronin fut d'abord médecin des pauvres en milieu industriel :
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"Détours", un poème de Daniel Martinez
A l'instant que le soleil visite
le chant liquide de la flamme
sur les roses trémières fleurs de chair
où la vie attend de paraître
à nu de mots prise dans les creux
de la métamorphose
où s'écrit en silence
la teneur de chaque tremblement
Perds ton habit d'homme
ce visage qui s'éloigne
n'est plus le tien
ni celui d'août enfiévrant les pierres
à seule fin de mieux voir paraître
la cendre blanche des vieux bois
du langage et des éléments mêlés
car tout est égal conquis d'un rien
par l'air allègre et vif qui traverse
le simple dessin des chimères
dans la déchirure du grillage
car toute pensée malgré elle
fait entrer en pauvreté
et s'émeut dans l'entrée
des choses familières
derrière lesquelles se condense
une matière moins nocturne
sous la peau des mains
sous les rides bleues des veines
les moires des orges remuant
toute une page de l'histoire
réanimée par le flux et reflux
de ceci dont l'oreille
se souvient encore
le recouvrement du calme
la royauté des vitrages restés captifs
de ce qui fut ôté au mystère
faute de lui avoir prêté tes yeuxDaniel Martinez
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"Sens unique", de Malcolm de Chazal, éditions L'Ether Vague, 21 décembre 1985, 102 pages, 65 F
Du 11 septembre 2024 au 19 janvier de cette année, a eu lieu à la Halle Saint-Pierre (à Paris) une exposition de l'œuvre plastique de Malcolm de Chazal, qu'André Breton considérait comme un surréaliste, rétrospective ainsi présentée :
« Génie, ce nom et aucun autre ». Adulé autant par les surréalistes parisiens que par Georges Bataille, Francis Ponge ou Jean Dubuffet, l’irruption de Malcolm de Chazal dans le milieu artistique de la Ville Lumière fut aussi fracassante que brève. Dans le monde de ce véritable démiurge, aussi poète que peintre, le quotidien se fait merveilleux, les fleurs vivent en symbiose avec les hommes, les couleurs et la lumière dansent dans une transe à la beauté quasi-divine. D’abord élevé au rang de génie avant d’être jugé fou par ses pairs, l’artiste incompris voit dans les montagnes de son Île Maurice les vestiges d’un continent englouti, un cosmos peuplé de fées, une nature de couleurs et de sensations. C’est par la peinture que Malcolm de Chazal fixe l’âme de son île, à travers des séries de toiles à la frénésie créatrice libérée, faussement enfantine. Ici, les couleurs explosent, des pigments inattendus révèlent les couches cachées d’un monde invisible. Comme un fascinant voyage à travers les méandres d’un esprit mystique, cette exposition lève le voile sur l’art magique et irrationnel d’un peintre qui a su capturer la beauté de son propre univers.
Ce Mauricien, né en 1902 à Vacoas, et décédé en 1981 sur cette île toujours, de l'océan Indien. C'est par la publication dans l'Hexagone - en juin 1948 aux éditions Gallimard -, de Sens-plastique, qu'il se fait connaître. Conquis, Jean Paulhan préface ce livre, à prédominance aphoristique, citons au hasard : "La bouche est un fruit qu'on mange à même la peau."
... Sens unique est un ouvrage plus en marge de l'œuvre, empreint d'un mysticisme cher à l'auteur, paru en l'île Maurice, quelque onze années avant qu'il ne soit édité en France, en 1985, par les éditions L'Ether vague. Ce livre est le pendant de L'Homme et la Connaissance, publié la même année chez Jean-Jacques Pauvert. Malcolm de Chazal a crée une cosmogonie où l'intelligence se fait par la connaissance de l'Extra visible.
Chantre de l'Univers Magique, il dévoile par le langage des correspondances les corrélations universelles, au sein desquelles s'échafaude une expérience entre les sens. Cette philosophie du Vivant qui le caractérise (à l'inverse d'un Maurice Blanchot ou d'un Michel Foucault dont les propos sur le sujet me laissent de marbre : "Je parle en quelque sorte sur le cadavre des autres." in Le beau danger, éd. EHESS), alchimique même, flirtant avec l'occultisme et non conventionnelle, elle fait justement la part belle au corps humain, sous toutes ses facettes, sans cesse magnifié, dans un parfait accord avec la nature : "La fleur est en même temps sein, bouche et sexe, femme au complet, sexe-trinité dans l'unité." (Sens-plastique), métaphore devenue, dans Sens Unique : "J'ai humanisé la fleur. J'humanise tout par mon pinceau."
Le sens unique est in fine à entendre comme une uniconscience, issue d'une reconstruction mentale, où le Fabuleux rime avec l'esprit d'enfance : "L'entant relie tout, comme le poète. Le terme religion (latin ligare, lier) prit pour moi un nouveau sens. On enseigne à l'enfant les religions, lui qui connaît tout, et ainsi on le détruit".