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Daniel Martinez
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"Sur le chemin du retour", de Jean Laude, éditions Club du Poème, nov. 1967, 54 pages, 300 exemplaires (les 12 premiers entés d'illustrations originales d'Yves Mairot)
Jean Laude, né le à Dunkerque et mort le est un poète, ethnologue, critique et historien de l'art français, spécialiste du primitivisme fauviste, du cubisme et des arts africains.
Son premier recueil de poèmes (non mentionné sur Wikipédia) - sur les 14 qu'il fit éditer de son vivant a été illustré par Yves Tanguy, voici l'une des lithos l'accompagnant :
Son premier recueil donc avait pour titre Le Grand Passage (éditions du Dragon, 1954). Jean Laude concevait la poésie comme un acte qui doit "mener à ce qui est" (in Le Mur bleu, 1965). Nourri de l'œuvre des présocratiques Empédocle et Héraclite, lecteur assidu de Novalis et Hölderlin, il a voulu élaborer une écriture qui identifie l'Etre et la parole. Fuyant tout pittoresque, réduisant l'univers sensible aux éléments essentiels (l'arbre, l'oiseau, le sable, la mer, ou ici la montagne...), ses textes, constitués le plus souvent de versets irréguliers et fragmentés, expriment une quête de l'évidence première : harmoniser la parole et les éléments, ce serait assurer à l'homme l'éternité de la matière.
Dans Le Grand passage, il écrit "Je porte la parole, pour tout pouvoir, un orage mort." Pour lui, l'espace investi (par l'écriture) renvoie l'homme non à la connaissance du monde, mais au doute introspectif. Toujours dans Le Grand passage, son livre fondateur : "Flux et reflux sur les sables, nous sommes envahis du dedans." L'apparente monotonie des sujets abordés par Laude dissimule, en fait, un mythe : la poésie doit être un retour aux origines du langage, au poète revient la tâche de retrouver une atlantide littéraire, qui recèlerait les mots d'avant la langue.
J'aime particulièrement son récit : Sur le chemin du retour, dédié à Zdenek Lorenc, poète surréaliste, prosateur et traducteur, tchèque. Entre mes mains, l'exemplaire que Jean Laude avait dédicacé à Gérard Guillot (1932-2021), journaliste, critique littéraire et poète de son état.Pour les lecteurs du blog, quelques pages extraites du livre qui nous intéresse, où le narrateur s'adresse à une dédicataire inconnue de lui, virtuelle, ferment de l'écriture même. La symbolique de cette quête, fondue dans la nature environnante, ramène à la condition humaine, ses embûches, à accepter telles quelles.
Voici :
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"Traversières", un poème de Daniel Martinez
Vignes de sang
dans la chambre pulmonaire
où se fragmente l'île
enserrée par les deux bras
entre lesquels se divise
la rivière qui grandit
à mesure qu'on l'approche
portée par le picotis des minutes
par l'inlassable rythme
l'incessant renouvellement
interrogeant le rouge et l'or
de signes que tu ne reconnais pas
comme ces roses de la nuit
leur trace ailée entre tes doigts
ne saurait mourir
Sous les senteurs voisines
la plainte d'une fontaine dévide
les membranes du souvenir
tu t'en approches
les lèvres sèches pour y boire
un pan de ciel aux mille bouches
pour y capter la trace d'un songe
dans le vertige de l'eau
l'enfoncement d'un cri
entre deux souffles
en quête de paysages enfouis
d'une illusion de trésor engloutiC'est là même que le futur
redessine sur la paroi
jour après jour
étage par étage
chacun effaçant l'autre
épelle ce qui demeure à écrire
un peu de nous y pénètre
surimpressionne une réalité
inscrite dans l'insatiable
où l'on reste campé
face aux feuilles rouges ébouriffées
comme les ceps à l'aube
respirent les cendres
de tes cheveux défaits
Daniel Martinez