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"Pour Unica Zürn - Lettres de Hans Bellmer à Henri Michaux & autres documents", Ypsilon éditeur, 6 avril 2009, 88 pages, 22 €

Cette correspondance jusqu'alors inédite met en lumière les relations mystérieuses qui liaient Unica Zürn à Henri Michaux, par les lettres qu'échangeait Hans Bellmer avec l'auteur de Misérable miracle. Amour platonique certes, comme souligné dans une précédente note du blog, toujours consultable bien qu'inactivé : http://diereseetlesdeux-sisiles.hautetfort.com. Unica voyait d'abord en Michaux un poète désintéressé ne pouvant, même par mégarde, lui "voler son ciel", voire l'instrumentaliser. C'est en 1957 qu'elle rencontre ledit poète, qu'elle chérit de ses vœux au point d'en faire le personnage de son livre L'Homme-Jasmin. Elle expérimente comme son aîné la mescaline.
Hans Bellmer, n'ignorant rien des liens idéels que sa compagne nourrissait pour Henri Michaux, le poussera vers elle, mais derrière les portes de Sainte-Anne, pour qu'il puisse, au mieux, lui donner la force de surmonter les épreuves endurées. L'institution quant à elle interdira que les œuvres de Zürn exécutées durant son internement puissent quitter le centre hospitalier où elle était soignée, s'en considérant de par la loi propriétaire ; voire même s'opposera à ce que la plasticienne signe dans ses locaux d'anciennes gravures destinées à être exposées en galerie, comme celle du Point Cardinal.
C'est dans cet inextricable imbroglio (pour ne pas dire plus) que se débat selon ses faibles moyens la patiente, dont on n'a conservé que deux lettres adressées à l'auteur de Plume, livre fétiche pour elle (missives en date du 29/10/1961 et du 20/2/1964). Sur un cahier qu’il a offert à Unica Zürn à Sainte-Anne - dont il est question dans la suite de la note - Henri Michaux a inscrit en dédicace :
          « Cahier de blanches étendues intouchées
          Lac où les désespérés, mieux que les autres,
          peuvent nager en silence,
          s’étendre à l’écart et revivre »

Henri Michaux.jpg

Lors d'une sortie autorisée, elle se défenestre depuis la fenêtre de son appartement, le 18 octobre 1970.

 

 

 

Jeudi, 9 nov 61

Après-midi, 4h 1/2


Les nouvelles ne sont pas bonnes :

2 visiteuses : d'abord Mme Danielle Paris-Thivollet
                    ensuite Mme Micheline Bounoure.

Mme Bounoure a trouvé Unica (en conversation avec Mme D. Paris) en larmes et profondément déprimée.
J'avais donné à Mme D. Paris-Thivollet un grand carton contenant deux tableaux d'Unica pour les faire signer. - Les infirmières qui surveillent l'entrée des visiteurs ont refusé la permission de monter ces tableaux chez Unica. ("Adressez-vous à la surveillante générale", qui bien entendu n'était pas en vue) - Cela peut être accidentel.
(J'avais "monté" cette ruse des deux tableaux à signer pour permettre d'y glisser, en sortant, le cahier, plein maintenant, qui porte en tête vos lignes de poèmes.)

Ce qui est plus grave :
Unica a refusé de donner ce cahier de dessins à Mme Paris ou à Mme Bounoure (Quoique ce cahier était destiné à vous et quoique j'ai précisé : Dites à Unica que vous le transmettrez à Henri Michaux.)
Unica a donné une seule explication à son refus : "Ce n'est pas encore terminé")

*

Il m'était impossible d'obtenir des détails qui me permettraient de comprendre l'origine de cette nouvelle dépression et de ce refus de confier ce cahier à l'une ou l'autre des deux amies.

*

J'irai voir demain un de ses médecins traitants (qui m'a donné la permission de le consulter à n'importe quel matin de la semaine).
Je lui demanderai les causes de cette dépression imprévue. Je ne lui parlerai pas du "Cahier", pour ne pas lui "mettre la puce à l'oreille".
Je lui demanderai (vu l'accident des infirmières-gardiens - refus de permettre à une visiteuse de monter chez la malade des tableaux anciens d'elle, pour qu'elle les signe) au médecin de bien vouloir recevoir Mr et Mme Visat ce samedi matin, de les conduire jusqu'à Unica et de permettre qu'elle signe ses gravures (40).

*

Si le médecin venait, de sa propre initiative, à parler de la propriété, appartenant à Ste Anne, de tout document artistique ou autre, dû à l'activité d'un malade interné à Ste Anne, je ferai appel à son bon sens : Couper d'avance - en confisquant toute œuvre d'elle - l'espoir de sa nouvelle vie, cela serait couper d'avance le moyen de thérapeutique élémentaire - et venant de l'extérieur - : consolider la confiance en elle-même, en son Moi réel, dû exclusivement à sa propre valeur.
(Si la conversation en venait jusque là, je proposerais au médecin en cause [qui me paraît jeune, attentif, très honnête et humain] de fournir à Ste Anne la photographie de tout document personnel d'Unica qui serait jugé important du point de vue médical-psychopathologique. - Si j'étais acculé jusqu'au dernier recoin (je ne le crois pas), je ferais sous-entendre que Unica disposera - gratuitement - des initiatives de Maître Maurice Garçon, qui est particulièrement ferré en matière de propriété artistique. - Ceci, d'ailleurs, ne serait pas un mensonge : J.J. Pauvert m'avait proposé, il y a quelques années, à moi, les services de Mr Maurice Garçon. Mais, le cas de litige n'étant pas d'une importance vitale pour moi, j'ai cru bon de ne pas vouloir obliger un avocat de cette classe pour si peu. -)

Je vous tiendrai au courant de ma conversation, à Ste Anne, demain matin (vendredi) - un de ces jours j'irai choisir chez Mr et Mme Bounoure les dessins déchirés* pour en choisir ce qui sera à restaurer en vue de la petite exposition chez Jean Hugues.
Si vous aviez le temps, je serais bien content de votre aide pour déterminer le choix.

Avec mes amitiés

Hans Bellmer


[Sur la marge à gauche]

La lettre de Mr Hugues - psychologiquement très importante - à Unica, n'était pas encore arrivée ce jeudi à midi !

_________

* Accès d'auto-destruction, au cours desquels Unica Zürn pouvait déchirer ses gravures (ndlr).

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