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On ne présente plus Jean-Claude Pirotte aux lecteurs de Diérèse ! Le numéro 44qui lui était consacré a été composé en sa présence (je vous donnerai à lire sa présentation, qu'il a tenu à rédiger à l'occasion de la sortie dudit numéro, un peu à la manière de Michaux - natif de Namur comme lui, le fit en son temps). Traverses est un ouvrage posthume, un Journal que tenait Jean-Claude, qui couvre la période allant du 1er juin 2010 au 16 juin 2011. Il se sait dès alors condamné (une lésion irréversible au fin fond de l'oreille interne). Il me l'écrit, plus pour m'en informer que pour s'en plaindre et continuera de coucher sur le papier son vécu, jusqu'à... Sa condition de poète, d'écrivain, par les extraits choisis qui suivent, est ainsi dévoilée au grand jour, après que. Elle est emblématique d'une vie qui jamais ne fut de tout repos, elle pointe du doigt une pauvreté assumée en même temps qu'une force/pulsion de vie, un désir de s'en sortir, au mieux, une constante chez Pirotte. Il confie par exemple avoir mangé du hérisson dans sa jeunesse, et d'ajouter : "On demandera quel goût a la chair du hérisson. Mais qu'importe. Les circonstances, voilà ce qu'il faut savoir". Il cite au passage le Journal de Ramuz, comme un référent obligé : "deux pages, éblouissantes (parmi bien d'autres) et d'une active et terrible nostalgie, à la date du 8 janvier 42". Et de sourire quand ce n'est pas grimaces à la Grande Faucheuse, pour la beauté du geste. Soit, pour conclure : "Écrire pour écrire, avec l'espoir tout à fait vain, absurde, que l'écriture ne rouille pas."
14 août
Grâce à Sylvie*, nous voici locataires d'un étage du poste de douane "reconverti" de Beurnevésin. Bail signé cet après-midi avec Joël L. et son épouse, propriétaires et co-habitants de l'immeuble. Deux sexagénaires d'une rare gentillesse à qui nous avons donné confiance sans aucune forme de doute. Nous ne quittons donc pas l'Ajoie, et cela me paraît de bon augure (même si mon pessimisme - relatif - ne cesse de couver de l'angoisse, ou du moins de l'inquiétude). Ce qui est exaltant, c'est la pensée de vivre une partie de l'année au cœur de la vallée de la Vendeline, avec les deux versants qui courent d'est en ouest, et vers l'est le profil des monts, dans une solitude exceptionnelle. Et dans cet appartement clair et restauré à neuf, ouvrant par toutes les fenêtres sur le paysage. Loyer nettement moins cher que celui des Advins - et même si nos moyens financiers demeurent précaires et insuffisants, l'idée seule de garder un pied dans le Jura ne peut manquer de m'inviter au travail- et à la recherche obstinée de revenus. Je ne désespère pas de convaincre la fondation Pro Helvetia de m'accorder une aide financière, bien que jusqu'ici mes lettres soient restées sans réponse.
* Sylvie Doizelet, qui fut sa compagne, ndlr
15 août
Désespéré, à nouveau. Comment donc (ou diable !) ferons-nous pour assumer la charge (renouvelée) de deux loyers ? Ce que je gagne chaque mois constitue tout juste la somme nécessaire aux loyers de La Panne, de Beurnevésin, et à la mensualité de l'automobile (sans laquelle nous ne pouvons aller d'un endroit à l'autre). Mais au fond, ce serait plutôt rassurant. Il ne reste qu'à trouver à manger, et assurer les frais quotidiens. Mendier, encore. Mendier, c'est un grand mot. Réussir à vendre un ou deux manuscrits, quelques peintures, et c'est fait. Demander une bourse ici et là... Ce que je viens de faire à l'adresse de Pro Helvetia, mais c'était en juin, et je suis sans réponse.
19 août
Reçu ce matin de Bernard Mermod les éditions Gallimard des Poèmes et de Langage, de Ganzo, ainsi que ses Tracts parus en 47 chez Aubier, et l'édition Grasset de son œuvre poétique. Dans une lettre à Mermod j'avais évoqué Andrée Sodenkamp, dont il me dit relire l’œuvre (Ganzo avait préfacé un de ses recueils). Cela me ramène une fois de plus à l'enfance. Mais quelle enfance ? Il faudrait me refaire une mémoire. Il y aurait tant de corrections à introduire dans la légende que je me suis forgée (comme un peu tout le monde, je suppose). D'authentiques mémoires ne devraient s'attacher qu'aux choses oubliées. Creuser l'oubli, en délaissant le souvenir, sinon pour en marquer la fausseté, la légèreté, l'abus. Une telle entreprise dépasse sans doute mes forces. Et comment extraire la matière du vide ?
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Il faudrait commencer par le silence, un long silence. Et le décrire. Car le silence est, quoi que l'on dise, habité de bruits et de souffles. Il n'est silence que pour ceux qui croient le percevoir du dehors, de l'extérieur, depuis leur esprit de refus. Car ce que d'abord le spectateur, le scrutateur, refuse d'admettre, c'est le silence du suspect. Le silence est suspect. Qui est le suspect ? L'enfant. Et s'il s'enferme en son silence, et s'il le cultive, le voici coupable.