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"Narcose" de Marie-Françoise Prager, éditions Guy Chambelland, 1966, 89 pages.

Premier des trois seuls livres publiés par cette auteure par le même éditeur, Guy Chambelland dont on ne peut que louer le travail de découverte qui fut le sien, avant qu'elle ne voie ses œuvres complètes éditées par Olivier Cabière dont la petite maison d'édition s'appelait L’Arachnoïde - ce, en 2008, et sous le titre générique : Narcose, Œuvres.
On sait seulement que Marie-Françoise Prager est née en 1925, à peu près rien d'autre. Dans Le Matricule des Anges, Richard Blin écrivait à son propos :
"Où sommes-nous ? Dans quel monde ? Dans quel type de réalité ? De quelles souffrances, de quelles expériences, de quels enclavements sont nés les trois recueils, jadis édités par Guy Chambelland, formant l’œuvre : Narcose (1966), Rien ne se perd (1970) et Quelqu’un parle 1979) ? Nul ne saurait le dire car on ne sait rien de l’auteur. S’impose en tout cas une écriture qui happe, trouble, échappe. Qui fulgure à blanc, impose au poème son univers de perceptions tronquées, négocie l’immédiat bouleversé de ses envols immobiles contre le prestige sournois d’adoubements funèbres." Voilà qui a eu de quoi désarçonner la critique. Il conviendrait d'ajouter que cette authentique poète, par trop discrète, n'a pas de grande chance de figurer un jour en anthologie, ce qui est bien dommage car dans son meilleur elle a su se montrer tout aussi inventive qu'une Béatrice Douvre.
Chez Marie-Françoise Prager les mots sont parfois de simples accompagnateurs, elle qui se risque à ressentir sa chair comme "préhistorique", n'hésite pas à réagencer l'ordre des vocables, voire à les dépareiller, à en pervertir le sens dans un amoncellement jubilatoire, pour le plus grand plaisir de l'image, de l'oreille aussi bien. Elle s'arrête d'écrire à 54 ans, "tout" a été dit, rideau !

Lisons-la si vous le voulez bien dans les poèmes qui suivent, extraits de Narcose :

 

 




Je me fie à l'inspirant de mes étuis consécutifs,
au filtre de ma densité funèbre,
aux doigts égarés de qui me cherche sous verre,
pour l'eau sans nom envahissante
à l'aplati nénuphar en l'horizon de mon diaphragme,
au parfum de corne roussie de mes pas dans les laves
aux polypes du familier, en l'aventure à un trapèze
et au strict éclat de l'une corde en l'impossible intense,
car ma main a passé à travers une lyre.

* * *


Filtrée par la fatigue j'entre dans la fantaisie byzantine,
La famille royale est couchée sur le dos.
L'or facile brille.
Un cheval cambré s'efface.
Les abeilles s'ajoutent l'or et puisent d'anciens parfums.
Un poisson qui saute entraîne ses arêtes ; il lève l'onde et bleuit le sel,
Il a des cils collés.

collage Claude Tarnaud 1950.jpg

collage de Claude Tarnaud, 1950, coll. particulière

* * *


Je suis à l'affût de l'impalpable toison
du temps la respiration de mes ouïes.
Préhistorique à présent ma chair
pulpe des profondeurs liquides rejetée
rêve pourtant un sonore
possible équivalent,
conque future avec des plis de crampe
glacée en le dedans.
Et de schiste en schiste
et de poudre en poudre je présume
un dessin à la craie, vos membres
où de tourbe en tourbe variante je vous couvre,
si de feutre en feutre il restait les empreintes
pour le silence perpendiculaire jusqu'en mes tempes.


* * * 

 

Atone qui me hante
où était le plaisir
du ferment bleuté
rouge pause,
rose altière et scabreuse
et au rire feutré
jaune rente simulée,
violette et amante paresseuse
qu'en descente anxieuse
et de cire ma main
prenait au bouquet
presque frais encore
aux regrets sans retour
flagrant à la tombe récente
que j'ai retrouvée en errant
le long du nonchalant
et tiède immobile
au velouté et au refus
du moisi qui respire à peine
d'une paupière refroidie
au toucher qui jubile.


Marie-Françoise Prager

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