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"Poésies" de J.W. Gœthe, traduction de Gérard de Nerval, éditions La Délirante, 4 lithographies de François Rouan, 23 mars 1994, 48 pages

Un travail d'édition soigné, sur beau papier, réalisé par la première imprimerie ukrainienne en France (pour le texte). Dans la translation que nous donne Gérard de Nerval, ce ne sont pas des poèmes à proprement parler, mais des "prosèmes", entés de deux brèves séquences théâtrales à vocation lyrique, intitulées "Le voyageur" et "La première nuit du sabbat".

 

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Gérard de Nerval a traduits lesdites "Poésies" en 1830, alors qu'il avait 22 ans, après sa traduction du premier "Faust", de Johann Wolfgang von Gœthe en 1828 (signalons ici l'excellent rendu de ce livre, tel que l'a façonné l'éditrice Diane de Sellier, livre paru en février 2011. Le texte y est accompagné de la reproduction des dix-huit lithographies d'Eugène Delacroix provenant de l'exemplaire personnel du peintre, le tout au format d'origine).
Suivent trois textes du "Sage de Weimar", extraits de ses "Poésies" :

 

 

 




Gœthe a écrit ce poème en 1782, Gérard de Nerval a pris le parti d'en traduire les huit quatrains constitutifs d'un seul bloc, avec le talent qu'on lui connaît.
Par parenthèse, on s'étonnera de ne trouver en ligne que les adaptations de Jacques Porchat (1861) et de l'éditeur marseillais Xavier Nègre.

 

Le Roi des Aulnes

 

   Qui voyage si tard par la nuit et le vent ? C'est le père et son fils, petit enfant qu'il serre dans ses bras pour le garantir de l'humidité et le tenir bien chaudement.
   « Mon enfant, qu'as-tu à cacher ton visage avec tant d'inquiétude ? — Papa, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes ?... avec sa couronne et sa queue ? — Rien, mon fils, qu'une ligne de brouillard.
   — Viens, charmant enfant, viens, viens avec moi... A quels beaux jeux nous jouerons ensemble ; il y a de bien jolies fleurs sur les bords du ruisseau, et, chez ma mère, des habits tout brodés d'or !" - 
   — Mon père, mon père, entends-tu ce que le Roi des Aulnes me promet tout bas ? — Sois tranquille, enfant, sois tranquille ; c'est le vent qui murmure parmi les feuilles séchées."
   — "Beau petit, viens avec moi ! mes filles t'attendent déjà : elles dansent la nuit, mes filles ; elles te caresseront, joueront et chanteront avec toi." 
   "Mon père, mon père, ne vois-tu pas les filles du Roi des Aulnes, là-bas où il fait sombre ? Mon fils, je vois ce que tu veux dire... Je vois les vieux saules, qui sont tout gris !"
   — "Je t'aime, petit enfant ; ta figure me charme ; viens avec moi de bonne volonté, ou de force je t'entraîne." — "Mon père ! mon père ! il me saisit, il m'a blessé, le Roi des Aulnes !"
   Le père frissonne, il précipite sa marche, serre contre lui son fils, qui respire péniblement, atteint enfin sa demeure... L'enfant était mort dans ses bras.


* * *

L'Aigle et la Colombe



   Un jeune aigle avait pris son vol pour chercher sa proie ; la flèche d’un chasseur l’atteint et lui coupe le tendon de l’aile droite. Il tombe dans un bois de myrtes, où, pendant trois jours, il dévore sa douleur ; où, pendant trois longues nuits, il s’abandonne à la souffrance. Enfin, le baume universel le soulage, le baume de la bienfaisante nature : il se glisse hors du bois, et agite ses ailes … Hélas ! c’en est fait ! le tendon est coupé ! à peine peut-il raser la surface de la terre pour chasser une vile proie ; profondément affligé, il va se poser sur une humble pierre, au bord d’un ruisseau ; il lève ses regards vers le chêne, vers le ciel, et puis une larme a mouillé son œil superbe.
   Voilà que deux colombes qui folâtraient parmi les myrtes viennent s’abattre près de lui ; elles errent en sautillant sur le sable doré, traversent côte à côte le ruisseau, et leur œil rouge, qui se promène au hasard autour d’elles se fixe enfin sur l’oiseau affligé. Le mâle, à qui cette vue inspire un intérêt mêlé de curiosité, presse son essor vers le bosquet le plus voisin, et regarde l’aigle avec un air de complaisance et d’amitié :
    "Tu es triste ! ami, reprends courage : n’as-tu pas autour de toi tout ce qu’il faut pour un bonheur tranquille ? Des rameaux d’or te protègent contre les feux du jour ; tu peux, sur la tendre mousse qui borde le ruisseau, exposer ta poitrine aux rayons du couchant. Tu promèneras tes pas parmi les fleurs couvertes d’une fraîche rosée ; ce bois t’offrira une nourriture délicate et abondante, ce ruisseau pur apaisera ta soif … Ô mon ami ! le vrai bonheur est dans la modération, et la modération trouve partout ce qu’il lui faut. - Ô sage ! s’écria l’aigle en retombant sur lui-même avec une douleur plus sombre ; ô sagesse ! tu parles bien comme une colombe !


* * *

Le chercheur de trésors


   Pauvre d’argent, malade de cœur, je traîne ici des jours bien longs ; la misère est le plus grand des maux, la richesse le premier des biens ! Il faut que je mette fin à mes peines, que je découvre un trésor… dussé-je pour cela sacrifier mon âme et signer ma perte de mon sang !
   Et je me mis à tracer des cercles et des cercles encore : une flamme magique les parcourut bientôt ; alors, je mêlai ensemble des herbes et des ossements, et le mystère fut accompli. Je creusai la terre à l’endroit indiqué par les flammes, sûr d’y rencontrer un vieux trésor… La nuit autour de moi était noire et orageuse.
   Et je vis une lumière de loin ; c’était comme une étoile qui s’avançait du bout de l’horizon ; minuit sonna, elle se rapprocha de plus en plus, et je distinguai bientôt que cette clarté éblouissante était produite par une coupe enchantée que portait un bel enfant.
   Des yeux d’une douceur infinie étincelaient sous sa couronne de fleurs ; il entra dans mon cercle magique, tout resplendissant de l’éclat du vase divin qu’il portait, et m’invita gracieusement à y boire, et je me dis : "Cet enfant, avec sa boisson merveilleuse, ne peut être l’esprit malin.
   — Bois, me dit-il, bois le désir d’une vie plus pure, et tu comprendras mes avis : ne reviens plus en ces lieux, tourmenté d’une fatale avidité, n’y creuse plus la terre dans une espérance coupable ; travaille le jour, réjouis-toi le soir ; passe les semaines dans l’activité, les fêtes dans la joie, et des changements magiques s’opéreront dans ton existence."

 

Johann Wolfgang von Gœthe

 

 

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